L'illusion méritocratique
Analyse hyper intéressante qui dépasse les thèses bourdieusiennes de l'importance de détention de capital social, économique et culturel dans les phénomènes de reproduction sociale. On y apprend...
le 29 juin 2020
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Je pense que questionner la méritocratie en tant que modèle théorique dont on serait prisonniers c'est bien mais si c'est pour derrière ne rien dire des mesures qui visent à "une égalité des chances" (et qui peuvent conduire assez facilement à de la discrimination positive), dans les milieux scolaires populaires c'est hypocrite, voire même contradictoire.
Je m'explique.
Premièrement, par quoi peut-on expliquer la mise en place de telles mesures si ce n'est par le mérite du plus grand nombre ? Le mérite de partir sur un même pied d'égalité par rapport aux élèves issus des classes plus favorisées ? Cela ne démontre t-il pas que même en niant le mérite on agit dans la pratique comme s'il existait ? Cela ne nous démontre t-il pas l'utilité de ce concept dans la vie de tous les jours ? Je pense que si.
Ensuite je trouve ça bien beau de rapeller que l'influence de nos déterminismes (sociaux, sociétaux et économiques) soit scientifiquement très établi, c'est bien beau de nous citer des noms de sociologues qui ont étudié le sujet, c'est bien beau de nous dire que c'est ce qui explique qu'un élève réussisse ou pas, mais si c'est pour venir ensuite invoquer les notions de "chance" et de "malchance" qui sont des termes super abstraits, vides de sens et anti-scientifique... La démarche perd alors en crédibilité. La rigueur scientifique ce n'est pas valable qu'à géométrie variable. Déjà ne même pas commencer par pleinement définir le terme dont il est question me paraît être du travail d'amateur.
Ça reproche à la méritocratie de définir les gens par leurs compétences et leurs niveaux alors qu'évaluer les élèves sur ce qu'ils savent faire ou non me paraît tout à fait justifié dans le cadre de l'éducation nationale. Je ne vois pas vraiment comment on pourrait faire autrement dès lors qu'un parcours scolaire et qu'un apprentissage passent par gravelir les échelons. Je ne sais pas par quoi on peut être jugé si ce n'est par nos compétences, notre éthique de travail ou par la quantité d'efforts abattu... Le jugement de valeur n'est aucunement arbitraire comme il est dit dans le livre. Le mérite scolaire est justement décidé par l'appréciation des travaux des élèves selon les mêmes critères, règles et les mêmes barèmes de notation, après si on demande au système éducatif de faire de la sociologie on ne va plus s'en sortir.
Promouvoir la méritocratie serait élitiste et discriminant nous dit-on car ça exclurait tout un groupe, or moi je vois la méritocratie comme justement ce qui incite les gens qui ont moins de talent et de compétence au départ à se prendre en main et à se surpasser. Vouloir progresser ça passe d'abord par une prise de conscience individuelle et il y a le "vouloir" qui est nécessaire, le bon vouloir du corps enseignant et celui des élèves. Ça paraît être une évidence mais c'est une évidence qui n'est, je trouve, pas assez rapellée. Il faut arrêter avec cette psychose qui consiste à voir de la discrimination partout !! Et quitte à dénoncer la discrimination ça serait aussi bien de s'attarder un peu plus sur l'efficacité de la "discrimination positive" dans le système.
"Pourquoi nos dispositifs méritocratiques ne parviennent-ils pas à faire évoluer le fonctionnement inégalitaire de notre système éducatif ?" Déjà il faudrait prouver que ça n'a rien fait évoluer. Sinon l'explication est simple : peut être parce que nous sommes inégaux intrinsèquement ? Je trouve ça cocasse de vouloir tout expliquer par nos déterminismes tout en se refusant à admettre l'un des plus fondamentaux dans notre affaire : le fait que nous ne sommes pas tous égaux en intellect, en compétence, en talent et en motivation de base. Ça n'a strictement aucun sens de reprocher aux écoles de se baser sur un modèle inégalitaire puisque nous sommes inégaux par nature. Il y a cette réalité dont on ne peut faire abstraction.
Ce livre nous parle d'une "homogénéisation des niveaux" qui devrait être visée chez les élèves, l'intention est bonne et louable mais vouloir à tout prix tout homogénéiser et uniformiser relève un peu de la chimère et c'est quelque part nier les aspérités et les singularités des individus. Je sais qu'on peut tout à fait me citer le contrat social de Rousseau qui vise à répondre aux inégalités de naissance par un égalitarisme de droit servant lui à rendre l'état de nature plus juste et mieux réparti en connaissance et en compétence mais ça présente clairement ses limites et c'est normal. Et le côté arbitraire et élitiste de l'école n'est très certainement pas la seule variable à incriminer.
La notion de méritocratie est un concept philosophique humain qui sert justement à pallier nos retards et nos carences par rapport aux autres, celui qui nous incite à redoubler d'efforts pour "homogénéiser" les niveaux.
L'autre ineptie imputée à la méritocratie consisterait à dire qu'elle favoriserait le statu quo, à savoir l'ordre social et politique des choses alors que la méritocratie c'est aussi ce qui permet de critiquer cet ordre établi et les systèmes politiques en fonction des mérites de chacun, et ça les gens ont tendance à l'oublier. La notion de mérite est ce concept (politique ou idéologique) qui permet aussi bien de questionner la bourgeoisie, les élites que le peuple et le prolétariat ainsi que les classes moyennes. Vouloir maintenir l'ordre établi c'est au contraire nous dire qu'il est tout à fait impossible de nous affranchir et de nous émanciper de nos déterminismes, de nos contraintes et de nos héritages. Aujourd'hui c'est ça le discours bourgeois dominant qu'on entend sur les plateaux télé et sur internet (et le discours dominant tout court d'ailleurs) : c'est tomber péremptoirement sur le "self-made man" et le libéralisme sans mesure ni nuance, c'est nous faire croire que les choses sont décidées à l'avance, que le libre arbitre n'existe pas et que les choses sont vouées à rester telles quelles.
J'ai l'impression que dans ce terme clivant de méritocratie beaucoup de gens ne retiennent que la hiérarchie sociale et le jugement de valeur dont il est question, beaucoup de gens ne voient en cette méritocratie qu'un vulgaire déterminisme social alors que si on se réfère à la définition, non pas de la méritocratie en tant que système ou structure, mais selon le mérite individuel cela renvoit à ce qui rend une personne digne d'estime et de récompense eu égard aux difficultés surmontées. Moi quand je lis ça j'entends : obtenir un gain proportionnel à l'effort fourni. Après il faut aussi s'interroger pour savoir si les actes purement désintéressés existent réellement chez nous car c'est complètement lié au principe d'attendre un retour après un effort, un choix et une action.
Or, si ce modèle théorique présente autant de failles dans la pratique c'est aussi peut-être parce que celui-ci n'est pas respecté ni appliqué dans le réel. Et David Guilbaud va, à ses dépens, nous en faire la démonstration éclatante durant tout son essai, et en particulier avec le passage où il nous décortique ce qu'on apprend aux étudiants des grandes écoles, c'est à dire "dominer", et non promouvoir des résultats en fonction d'une éthique de travail. Tu ne peux donc pas reproché à un modèle de ne pas être efficace si ce dit modèle n'est pas appliqué.
Je pense donc que dans tout ça ce qu'il faut faire c'est davantage pointer du doigt la façon dont les grands groupes, le patronat, les politiciens et les diplômés d'universités instrumentalisent cet outil à leurs fins, plus que critiquer l'outil en lui-même.
Rien que ce champ lexical qui consiste à parler de "gagnants" et de "perdants", en plus de prêter un certain manichéisme fallacieux aux tenants de la thèse, démontre que ce sont les gens comme l'auteur de ce livre qui se font une interprétation biaisée et faussée de la méritocratie. Ça la réduit à un vulgaire homme de paille qui consiste à présenter tout ça comme un jeu, or on constate bien que se sont plus souvent les opposants de la thèse qui veulent réduire le dilemme à un jeu de hasard qui consiste simplement à être né au bon endroit, au bon moment et dans le milieu social propice, or la réalité des choses s'avère beaucoup plus complexe que ça.
Cela ne sert donc à rien de réfuter l'existence même du mérite, il convient mieux de se plaindre du fait que le vrai mérite n'est pas valorisé ni récompensé dans nos sociétés.
Bref, c'est bien beau de fustiger le mérite comme "bonne conscience des gagnants" (et la bonne conscience des bourgeois qui veulent déconstruire le mérite pour faire de la démagogie et du populisme ? ), mais la déresponsabilisation complète des perdants est une position tout aussi condamnable et néfaste. Un ouvrage qui prétend octroyer plus d'auto-défense intellectuelle aux laissés de côté devrait en avoir conscience. J'estime donc que la vérité se situe quelque part un peu plus entre les deux positions.
Créée
le 28 juil. 2023
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