Littoral est la première pièce fondant un projet de tétralogie, Le Sang des Promesses, qui se poursuit avec le bien connu Incendies, l'ambitieux Forêts et l'OVNI Ciels. Si on met de côté ce dernier, cette saga théâtrale a tout l'air d'un Pokemon. Si, si, un Pokemon, qui commence simplement mais efficacement pour évoluer vers quelque chose d'incroyable. Littoral ne coupe pas le souffle comme Incendies et n'est pas aussi dense que Forêts. Pourtant, il délivre un message fort, fondateur de ses suites.
Wilfrid vient de perdre son père. Voulant au départ le faire reposer aux côtés de sa mère, morte à sa naissance, il est confronté au refus de sa famille. Il décide alors d'enterrer le corps du père sur sa terre natale (aka le Liban). Durant ce périple, il sera amené à rencontrer des êtres profondément marqués par la guerre : Simone, la fille qui chante et qui veut aller dans les villages raconter, Amé et Sabbé qui ont perdu leur père à cause des nombreuses horreurs qu'instaure la guerre, Massi, le garçon qui communique par le rire et enfin Joséphine, porteuse de la mémoire de ceux qui furent et de ceux qui peut-être encore sont. En plus de toute cette équipe se rajoutera le Chevalier, ami imaginaire de Wilfrid depuis sa tendre enfance et qui se charge de la décapitation métaphorique de tous ceux qui l'emmerdent.
L'histoire n'est pas folichonne et ne se base que sur la quête de Wilfrid, mais ce sont par ces personnages et par les thèmes abordés que Littoral brille. Le souvenir, rempart contre la destruction généralisée que mène le conflit, ou encore la rage de la jeunesse qui subit sont des thématiques d'ores et déjà installées ici et qui parcourront toute cette saga dramaturgique. Mais clairement, ce qui marque la lecture de la pièce, ce sont ses figures hautement symboliques, notamment celles du père : chacun se l'approprie comme il s'approprie la quête de Wilfrid, afin de retrouver ce qui lui a été enlevé. Car le père, c'est celui qui fait encore de nous des enfants et en l'enlevant, c'est l'innocence qui est enlevée. Une fois la sépulture du père trouvée, tous doivent avancer en laissant une part de soi derrière lui.
Wajdi Mouawad fournit là une excellente entrée en matière de son théâtre, bourré de messages et de symboles forts, tout en évitant une écriture prétentieuse et inaccessible, comme cela arrive de temps à autres dans le théâtre contemporain. Si vous avez aimé Incendies, vous pouvez déjà commencer à orienter votre regard vers ce littoral malheureusement un peu trop méconnu.