Déjà, Liv Maria emporte le lecteur par son écriture formidable de maîtrise. Julia Kerninon a un talent de conteuse hors pair alliant l’utilisation des mots si bien choisis et l’enchaînement des situations dans une fluidité remarquable. Avec ce livre éponyme, l’écrivain raconte comment une jeune femme insulaire, suite à une mauvaise rencontre ( premier coup du sort d’une longue série), va se retrouver chez son oncle et sa tante à Berlin et tomber sous le charme de son professeur d’anglais, Fergus, originaire d’Irlande.Ce cours épisode de sa vie, trois mois d’été de ses dix sept ans, va pourtant influencer l’existence de Liv Maria à un certain point car là fatalité ( à l’image d’un Œdipe au féminin) la suivra jusqu’à un point de rupture définitif à la quarantaine (qu’elle choisira car sa vie est trop lourde à porter). Julia Kerninon choisit donc le conte ( où un événement extraordinaire balaye le principe même de vraisemblance) pour décrire les raisons d’une femme à part. Ainsi, Liv Maria, aussi vivante que tourmentée, est à la fois actrice et jouet d’une dramaturgie qu’elle voudrait contrôler mais qui la dépasse. Sur cet équilibre instable, la jeune femme voyage, se frotte à des expériences inédites, confronte sa vision du monde aux valeurs transmises par ses parents disparus trop tôt. Entre paix, tempêtes intérieures et consolations passagères, Liv Maria est bien humaine comme nous tous mais une rencontre dans une librairie sud-américaine en décidera autrement et réveillera les fantômes du passé. Et c’est sur cet aspect là que le livre interpelle, nous pousse à nous questionner sur les choix de vie de Liv Maria, ce qui peut façonner et malmener ses identités, son ancrage fragile dans l’existence. Si vous êtes prêts à embrasser les soubresauts d’une existence belle mais pleine d’une « montagne de questions »( comme disait Alain Bashung), entrez dans cette expérience qui vous ravira autant qu’elle vous désarçonne par moments.Dans le cas contraire, une trop grande intériorité pourrait rebuter des lecteurs plus cartésiens, appréciant une clarté immédiate.Pour ma part, je n’avais pas lu un livre aussi « multiple » depuis un moment et je remercie le hasard de l’avoir mis sur ma route.