Quel livre mes amis, quel livre !
Entre mes mains depuis à peine 48h et je peux vous certifier que mes deux dernières nuits furent courtes et enfiévrées, et mon attention au travail bien dissipée. Qu'ils sont rares ces livres qui détiennent ce pouvoir presque surnaturel de nous emporter, nous humbles lecteurs, vers de telles transes, nous faisant négliger nos repas, nous rendant sourds à notre entourage, siphonnant toutes nos pensées, toutes nos émotions et nous faisant désirer une seule et unique chose : rester seuls avec eux, dans l'intimité de leurs pages fébrilement tournées, à la découverte de leurs secrets et dans l'attente de leur dénouement.
Ma rencontre avec "Loin de la foule déchaînée" de Thomas Hardy a commencé il y a déjà plusieurs mois. Ce roman - qui n'évoquait alors pour moi qu'un titre sur la liste interminable des classiques de la littérature - a soudain pris une forme très concrète quand j'ai visionné par hasard la bande-annonce de sa nouvelle adaptation cinématographique, réalisée par le danois Thomas Vinterberg. En moins de deux minutes, alors que mon sang se figeait et que mon cœur faisait un bond dans ma poitrine, j'ai littéralement été happée par l'esthétisme de la photographie et par le souffle qui se dégageait des quelques plans entraperçus. Ce fut comme un coup de foudre. Aussitôt, je me suis lancée dans une quête effrénée pour dégoter le roman, hélas en rupture d'édition - ou disponible d'occasion, à prix d'or...
Pendant deux mois, comme une amoureuse transie, tous mes espoirs ont reposé sur le bon vouloir des maisons d'édition à rééditer ce grand classique, en vue de la sortie du film. Il me semblait impensable que pas une d'entre elles n'ait le bon sens, que dis-je, l'intelligence de le ré-éditer. Après de longues semaines de veille, mon espérance fut enfin récompensée, merci à Archipoche. Victoire ! Aussitôt, une pré-commande est passée à ma libraire, très étonnée.
Le 13 mai devait être pour moi le début de ma félicité. Je connaissais désormais par cœur les bandes-annonces disponibles sur la toile et leur jolie musique résonnait continuellement à mes oreilles. Hélas, comme c'est trop souvent le cas quand le destin veut jouer avec nos nerfs et la raison nous amener à plus de tempérance, ma libraire mit presque deux semaines à m'obtenir le Graal. Aussi tendue qu'une arbalète, j'ai bondi à son appel et me suis immédiatement plongée dans ma lecture ; une lecture qui a dépassé toutes mes espérances.
Oui, chers amis, c'est maintenant le moment - enfin ! soupirez-vous légitimement - de vous parler de ce grand, beau, exceptionnel roman qui, n'ayons pas peur des mots, fait désormais partie des plus belles œuvres qu'il m'a été donné de découvrir jusqu'ici.
Familière de la littérature anglaise du 19ème siècle, j'ai savouré comme on boit du petit lait la plume si juste, si belle et si vraie de Thomas Hardy, un grand écrivain qui eut le malheur de ne se voir reconnu comme tel qu'après sa mort - le sort commun des grands artistes. J'ai été agréablement surprise par sa modernité et par sa capacité vraiment extraordinaire à plonger son lecteur dans son univers - le terroir anglais - sans recourir à de nombreuses descriptions ni aux habituelles digressions assez caractéristiques de la période. "Droit au but" semble avoir été la devise qui a guidé sa plume, ce qui explique sans doute en grande partie le peps donné au rythme du roman. Vraiment, je me demande ce que le scénariste de Thomas Vinterberg a bien pu réaliser pour justifier son cachet tant Hardy semble avoir lui-même écrit un scénario juste... parfait.
Je connais un autre grand homme de lettres anglais qui n'aurait sans doute pas désavoué ce roman : William Shakespeare, excusez du peu. En effet, la trame de "Loin de la foule déchaînée" m'a fait penser tout au long de ma lecture à une subtile et harmonieuse alliance, parfaitement équilibrée, entre une tragédie et une comédie du grand Will. Il y a sans conteste du "Roméo et Juliette" entre ces pages, comme il y a du "Beaucoup de bruit pour rien", avec cette touche personnelle de Hardy qui retranche au drame ses nuances les plus fortes pour les créditer au compte de l'authenticité et du romanesque.
Vrai, j'ai peu dormi depuis deux jours, j'ai peu mangé et peu travaillé mais j'ai fait un tel voyage, avec de tels personnages, avec une telle figure de femme, que la seule manière de me consoler de l'avoir si tôt achevé est de me précipiter mercredi dans une salle obscure.
Vous l'aurez compris, je recommande chaudement ce roman ; c'est plus que jamais un coup de cœur, l'un de mes plus violents et passionnants.