Lolita
7.9
Lolita

livre de Vladimir Nabokov (1955)

J’ai choisi d écrire sur ce livre car il fut rupture totale avec toutes mes lectures précédentes. Il me bouleversa véritablement et me força à m’interroger sur le sentiment de culpabilité qui se dégageait de mon attrait pour celui-ci. 
 Lolita m’a invité à une réflexion profonde sur le lien entre l’éthique et l’esthétique et plus largement sur ce sur quoi ce livre m a profondement changée . Malgré la perfection esthétique qui m’apparaissait comme inédite et hypnotique, je me suis longtemps demandée si celle-ci était directement liée à la transgression éthique qui s’y affiche, et s’il était moral que je trouve en la lecture un plaisir nouveau. Si le sujet de la pédophilie n’était pas aussi choquant, et ne demeurait pas d’une aussi brûlante actualité, la beauté du roman m’aurait-elle troublée à ce point ? Ce sujet m’a directement amenée aux ancêtres de Lolita : Madame Bovary, par exemple, laisse le lecteur contemporain insensible, parce qu’il nous paraîtrait aujourd’hui impensable de lui reprocher de faire la poésie de l’adultère, comme le critiquait Me Pinard. Le même cas de figure s’applique pour Ulysse de Joyce, à qui personne ne reprocherait plus d’exposer les fantasmes érotiques de ses personnages. En revanche, nous hésitons à considérer avec indulgence la pédophilie dans Lolita. 
 
J’ai aussi eu l’occasion de me demander si un romancier pouvait tout écrire, question à laquelle j’ai fini par répondre par l’affirmative. En effet, un roman est une fiction qui a pour essence même de nous émouvoir ou \ et de susciter nos réactions, quelqu’en soient les moyens. Ce genre littéraire que représente le roman a justement ce luxe de pouvoir se priver de toute morale. 
 
Lolita est un de mes romans favoris parce que j’ai été étonnée des émotions qu’il a fait ressortir en moi, qu’il m’a stupéfaite par ses innovations stylistiques et que les réflexions auxquelles j’ai abouti m’ont perturbée pendant des quelques semaines . Ce roman a d’ailleurs été adapté deux fois au cinéma depuis 1962, adaptations sur lesquelles cette fois, mon enthousiasme est nettement plus limité, l’absence d’un narrateur personnage dont nous comprenons la démence au fil du récit nuisant au message originel de Nabokov. 
 
 
 
(Que le prénom de la victime, Lolita, soit désormais employé par antonomase pour désigner des adolescentes sexy perpétue le malentendu. Trop de gens ont lu Lolita de travers, à commencer par Bernard Pivot affirmant que Vladimir Nabokov était le «père d’une petite fille perverse»; l’écrivain récusait immédiatement l’assertion, rappelant que «Lolita n’est pas une petite fille perverse. C’est une pauvre enfant qu’on débauche.»)
 
 
 
 
 
-       Lien éthique esthétique 
 
o   Comment l’immoralité de ce roman peut-elle être tenue pour du grand art ? Comment, d’une façon générale, peut-on concilier la morale et l’art ?
 
o   Platon dans la République n’hésitait pas à mettre au pas les poètes qui pouvaient troubler le calme ordonnancement de la cité et l’éthique a pendant des siècles subordonné l’art à son autorité.  (cf double imitation)
 
o   Nabokov aurait pu tout autant dire avec Baudelaire ou allan Poe que l’ignoble pouvait être beau, mais ce n’est pas ce qu’il dit. Nabokov prend le parti de l’autonomie de l’art par rapport à l’éthique, façon de dire que l’art ne tire pas à conséquence. 
 

 
o   Il est donc devenu plus malaisé aujourd’hui, à bien des égards, de prendre un plaisir esthétique relativement serein à la lecture de ce roman incandescent. Les lettre n’ont que modestement changées , mais le contexte social et culturel, lui, est bien différent. ( Flaubert Madame Bovary )
 
o   Si la poésie et le théâtre, soumis à des liturgies collectives et publiques, ont longtemps semblé promouvoir un consensus religieux, éthique et politique, même s’il ne manque pas d’exceptions à cette règle, le roman, surtout depuis Don Quichotte et Pamela, a toujours été en rupture par rapport à ce consensus, mettant en scène des personnages socialement ou moralement déviants, tissant des discours souvent transgressifs qui font l’apologie d’un désir d’autant plus intense qu’il est réprouvé par la société. 
 
o   Ces œuvres sont caractérisées par des innovations narratives ou stylistiques importantes qui instaurent une distance considérable entre l’auteur et ses personnages, l’auteur et le lecteur, ce qui a souvent pour effet de désarmer le censeur comme on le voit lorsque l’on examine nombre de procès. De sorte que l’excellence esthétique de ces œuvres se trouve intimement liée à la transgression éthique qui s’y affiche. 
 
o   Face à des romans comme Madame Bovary ou Ulysse, le lecteur contemporain demeure insensible à cette logique parce que les désirs qu’ils célèbrent ne paraissent plus faire scandale. Dans le cas de Lolita, au contraire, le lecteur d’aujourd’hui est infiniment plus embarrassé que le lecteur des années 50. Cela ne remet aucunement en question la valeur esthétique du roman mais démontre, au contraire, qu’il demeure d’une brûlante actualité et d’une troublante beauté. 
 
 
 
-       Un écrivain peut il tout écrire ?
o   Oui, un roman est une fiction qui a pour essence même de nous émouvoir ou de susciter nos réactions, quelqu’en soient les moyens. Ce genre littéraire que représente le roman a le luxe de pouvoir se priver de toute morale. Si l’auteur a envie de composer une histoire autour d’un crapuleux pervers criminel, c’est son droit le plus légitime, ses personnages étant fictionnels. Si nous devons nous priver de tous les criminels et de toutes les horreurs de roman, nous n’avons plus qu’à brûler une bonne partie de la littérature la mettre au bûcher.Le geste littéraire et la réalité sont deux éléments distincts.
o   L’interdit que le roman transgresse place aussi le lecteur dans une situation qui rend la lecture moralement problématique, mais si tant est que la lecture littéraire est une activité intersubjective contradictoire et plurielle, c’est précisément cela que le lecteur recherche
-       Adaptation au cinéma
o   Le livre est adapté en 62 par Kubrick (1amour) puis en 97 par Adrian Lyne. Les premières affiches présentant Sue Lyon en séductrice sont à l’image du scandale engendré : ‘Comment a-t-on osé faire un film de Lolita ?’. Si j’ai absolument adoré le livre, qu’il m’abouleversée, faite pleurer, choquée, mon ressenti après le film était tout à fait différent. C’était surtout un malaise. Je me suis longtemps demandé pourquoi cette impression, pourquoi il ne m’avait pas plu, quand j’adore Kubrick et Lolita séparément. Le sujet me trottait toujours dans un coin de la tête. J’ai abouti sur l’idée que Lolita était inadaptable. En effet, la forme du texte est indissociable du fond, et plus particulièrement chez Nabokov. Le texte est teinté d’un vague de folie qui s’installe sans préavis dans la narration, que le lecteur aurait bien des difficultés à situer précisément dans le récit. L’ironie est marquée par la présence du langage amoureux, que les lecteurs ont pour habitude de trouver dans un contexte précis (amoureux). Or grâce aux qualités de Nabokov en tant qu’écrivain , il manie les mots associés à cette thématique si fréquemment que les lecteurs le prennent comme sa manière de décrire l’amour, même s’il l’utilise ironiquement. Le manque de fiabilité du narrateur est aussi un thème nabokovien. Tous ces éléments, notamment le voile de démence que sert le style hypnotique du romancier russe, ne peut être retranscrit dans un film. Cette impossibilité a mené à de mauvaises interprétations, et l’entrée de l’expression ‘une lolita’ dans le langage courant par antonomase (pour décrire une adolescente sexy qui séduit des hommes plus âgés) ainsi que les phénomènes de Lolitamania et d’identification à cette histoire criminelle, inspirée d’un glauque fait divers, en sont les preuves directes. 
 

Estherfrs
9
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Créée

le 25 déc. 2023

Critique lue 22 fois

Esther  Franses

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