"Il fallait tolérer Lourdes, ainsi qu'on tolère le mensonge qui aide à vivre"
Si j'étais athée pratiquante et que, tel un témoin de Jéhovah frappant au petit bonheur aux portes de pauvres gens innocents, je distribuais des tracts/bibles gratuites à mes victimes, j'offrirais très certainement, au beau milieu de mon extatique emphase, des exemplaires de Lourdes de Zola.
Zola est aussi athée que moi. Comme moi, il pense que les miracles sont de vastes mascarades et phénomènes psychologiques, que la religion est une illusion qui sauve les gens démunis, etc etc, les arguments qu'on nous bassine et qu'on connaît tous - mais qui n'en sont pas moins convaincants. Mais ces arguments qui semblent assez évidents maintenant ne l'étaient pas tellement au XIXe, puisque l'émancipation de l'influence ecclésiastique est tout de même assez récente, et les pamphlets défendant l'athéisme assez rares (corrigez-moi si je dis des énormités). C'est donc un roman presque fondateur que nous livre Zola, du moins fondateur dans sa critique de Lourdes et de tout ce qui en découle : perversion par l'argent, manipulations, délires collectifs...
Pourtant, Zola met en oeuvre une véritable réflexion sur la religion : est-elle bénéfique/utile par certains aspects ? Est-on plus heureux avec la foi ou avec la raison ? Ce n'est donc pas qu'une critique, puisque contrairement à Nietzsche, Zola ne répudie pas toutes les valeurs chrétiennes.
Mais venons-en à la substance de l'oeuvre : Lourdes est un long roman, se déroulant sur cinq jours, ayant comme protagoniste principal Pierre, un jeune abbé qui a perdu la foi (et qui sera l'instrument de toutes les réflexions brillantes sur la religion du bouquin), qui accompagne celle qu'il aime, Marie, jeune et belle paralytique (ATTENTION GROS GROS SPOIL) qui sera guérie par la puissaaaance de l'esprit (y a des relents freudiens chez Zola, dans les troubles psy, serait-il précurseur ?) et non pas, à mon humble avis, par la Vierge Marie.
Stylistiquement parlant, c'est du beau Zola. On regrette toutefois des répétitions, nombreuses, mais visant sans doute à ne pas perdre le lecteur (et vu le nombre de personnages annexes, heureusement), même si je me demande si, pour une description des malades, Zola n'a pas à un moment de son livre fait un copier/coller d'une première description tellement la ressemblance est frappante. De plus, le livre est lent, lent. Je ne sais pas combien de pages il y a exactement puisque je l'ai lu sur Kindle (affichage en pourcentage), mais il y en a au moins beaucoup (comment ça ça ne veut rien dire ?), et les cinq jours étant extrêmement détaillés, on se retrouve face à de grands moments de vide ou, comme je l'ai dit, de répétitions inutiles. C'est pour ça que je ne mets "que" 7 à Lourdes.
Il y a aussi un véritable apport culturel à lire Lourdes : non content de nous dresser l'épopée du croyant fervent et miraculé ainsi que le chemin de croix d'un prêtre dont la raison ne le lâche pas, Zola raconte avec plus de détails et de vie que wikipédia l'histoire de Lourdes comme lieu de pèlerinage, ses beautés et ses aberrations, à travers le personnage de Bernadette Soubirous, origine du drame en 1858. Et on fait la connaissance, parallèlement au récit de Pierre, de la petite Bernadette, jeune hystérique ayant des visions (une Jeanne d'Arc moderne et moins héroïque quoi) qui ont mené à ce que l'on sait : Lourdes, 3e lieu de pèlerinage catholique du monde (merci wiki).
Bref. Lire Lourdes, c'est s'offusquer si on est croyant, jouir si on est athée. C'est dans tous les cas une féroce dénonciation, qui a un intérêt certain en tant qu'oeuvre littéraire, et qui gagnerait à sortir de l'oubli où le plonge la série (superbe par ailleurs) des Rougon-Macquart.
Envie de voir un autre Zola, dans un autre registre ? Foncez.