Love and pop par emmafrida
Pour une topaze rose...
Dans ses romans, Murakami Ryû livre un regard sans concessions sur la société japonaise, autopsiée jusque dans ses tréfonds, grattant méthodiquement le vernis "kawaï" ou raffiné qu'on peut parfois lui appliquer.
Love & Pop, publié en 1996 au Japon mais seulement l'andernier en France s'efforce de porter, par le biais de la littérature, le regard le plus objectif possible sur un phénomène très répandu au Japon : celui de la prostitution de jeunes lycéennes, qui acceptent, pour des milliers de yens, des rendez-vous avec des hommes. Point de discours moral lénifiant dans ce roman, aucun poncif : les faits, au plus près des protagonistes.
Une journée banale dans la vie de quatre lycéennes, pendant les vacances d'été. L'errance dans les centres commerciaux et le désir qui surgit partout : les sacs, les chaussures ou une bague ornée d'une délicate topaze rose. Car c'est bien de désir dont il est question et plus précisément de son immédiateté : s'il n'est pas assouvi dans la journée, voire dans les heures qui viennent, il disparaît. Les choses n'ont de saveur et de valeur qu'obtenues instantanément, elles risqueraient sinon de perdre de leur beauté et de se fondre dans la banalité. Violent paradoxe d'une société qui propose (impose?) tout et son contraire en donnant l'illusion que chaque objet, aussi prosaïque soit-il, est doté d'un pouvoir magique et unique : réenchanter la vie. Mais la jeune Hiromi le sait, chaque moment de la vie doit être réenchanté : chaque instant a son désir particulier. Le flot délirant des paroles, publicités, chansons dont nous sommes assaillis chaque jour est rendu de manière abrupte, entrecoupant la narration, comme il vient rompre le cours d'une pensée, d'un rêve, sans qu'on l'ait demandé.
Pour assouvir ce désir sans fin, ne reste qu'une solution pour Hiromi : se mettre à nu, se faire soi-même objet de désir, dématérialiser son corps, s'en éloigner pour justement assouvir ses pulsions matérielles. Mais quand les choses ne se passent pas comme on l'avait imaginé, le corps reprend brutalement sa place et l'esprit ne peut plus en faire abstraction. La topaze rose perd soudain de son éclat...
140 000 yens : à seize ans c'est le prix d'une topaze rose mais à 30 ans, c'est celui qu'on paye pour sortir de sa solitude. Mise en regard cruelle et ironique d'adolescentes et de jeunes adultes... ces derniers retrouvent parfois de façon haineuse ce qu'ils ont été et dévoilent cyniquement aux jeunes filles ce qu'elles vont devenir : des êtres seuls qui ne parviennent pas à se rencontrer.
Un très bon roman, dont le goût acidulé se révèle très amer...J'y ai retrouvé l'atmosphère si caractéristique selon moi de la littérature et du cinéma asiatiques où le désir de pureté, de beauté et d'amour se mêle souvent cruellement au désespoir du quotidien.