Comme il en a ras la coupe de Paname, le gars Luj quitte la capitale, direction la forêt de l’Argonne où il compte faire fortune en revendant sa camelote aux ferrailleurs du coin. À la condition bien sûr de remuer la glèbe, sans trop se casser le dos, pour y dénicher vieux obus, boucles de ceinture, casques à pointe et baïonnettes. Bref, toutes les vacheries de la Grande Guerre, celle qui devait être la Der de der et ne fut que la première des saloperies du XXe siècle.
Chemin faisant, le pouce levé au vent, Luj s’imagine déjà les poches pleines de fric, de quoi acquérir deux trois roulottes et un barnum pour jouer au patron de cirque ambulant. Et même s’il ne recueille pour l’instant que les bras d’honneur, les insultes et les crachats des automobilistes, il compte bien prendre sa revanche sur cette société, cette comédie humaine, qui se paie sa poire à longueur de journée.
Après avoir crapahuté pendant trois jours dans la forêt, le gars Luj est toujours bredouille. Pas un culot d’obus, pas une douille à se mettre dans les poches. Peau de zob ! S’apprêtant à regagner Paris, il tombe sur un maousse, à cheval sur un tronc abattu. Vêtu d’un par-dessus bleu horizon à martingale, un chapeau cloche noir enfoncé sur les yeux et deux gants de boxe aux pognes, le gros est en train de se faire un casse-dalle de piafs. Il les enfourne, l’un après l’autre, avec les plumes, direct dans sa gargue. Bon appétit !
Homme, femme ? Luj n’arrive pas à déterminer le sexe du phénomène dont la patermaternité a été violentée récemment. Sa petite fille, la douce Citronelle, a été enlevée par un commando héliporté de calotins. Depuis Le mastard n’en dort plus.
Informée que la chair de sa chair vit désormais enfermée dans un couvent du côté d’Aix-en-Provence, La Cloducque cherche un larron pour aller la délivrer, quitte à échanger quelques calottes avec ses gardes-chiourme. Voilà le gars Luj embarqué dans cette histoire. Même pas le temps de dire ouf, il suit sans protester, attendant le moment propice pour se débiner.
Road story clochardisé, Luj Inferman et La Cloducque nous emmène dans un voyage à l’itinéraire erratique, entre l’Argonne et Aix, via Pithiviers, Autun, Nevers et Château-Chinon. La ligne droite n’étant manifestement pas le plus court chemin pour nos deux marginaux, on les suit entre petits boulots et combines foireuses. Silhouette efflanqué et costume élimé pour l’un, allure de quasimodo pour l’autre. Le duo est tout simplement monstrueux.
Il ne faut surtout pas chercher un je ne sais quoi de rationnel dans les divagations – dans tous les sens du terme – des deux héros de Siniac. Le registre est résolument absurde, l’humour incontestablement vachard et les péripéties teintées d’un surréalisme que l’auteur surnommera fanpol par la suite.
Créé en 1971 à la demande de Pierre Soulat, alors directeur de la « Série Noire », Luj Inferman’ et La Cloducque détonne dans le paysage du polar hexagonal, très politisé à cette époque. La gouaille, le registre argotique et les nombreux jeux de mots ne sont pas sans rappeler ceux de Frédéric Dard. Toutefois, Pierre Siniac pousse la subversion un cran plus loin, dans un état d’esprit libertaire iconoclaste, se payant la tête de tout le monde, lecteur y compris.
Luj Inferman’ et La Cloducque sera suivi de six autres romans et de quelques nouvelles. Pas sûr qu’ils soient tous recommandables, même si en matière de dinguerie et de démesure, Siniac n’a rien écrit de mieux.
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