'On ne peut rien faire si on est pas vivant.'
[SPOIL!!!]
Cela faisait quelques années maintenant que je n'avais pas lu de Paul Auster. Peut-être parce qu'après avoir passé toute ma dernière année de lycée à étudier d'arrache-pied les moindres recoins de The Brooklyn Follies j'avais aussi envie de prendre le large avec le post-modernisme Austérien et que, intérieurement, ça avait chamboulé trop de trucs en moi à la fois sans que je ne puisse mettre de mots ou trop de maux dessus, il fallait que je laisse le temps de digérer à la grande claque que venait de prendre mon petit univers de lycéenne insouciante. Il fallait que j'encaisse silencieusement le génie de cet homme qui me fascinait.
Et la magie, même après toutes ces années, ne cesse de perdurer. Lulu on the bridge était un pari audacieux pour Paul Auster et il n'a pas plu à bon nombre de ses fans qui ont jugé l’œuvre comme la plus décevante jamais produite par l'écrivain Américain, dans ma tête sans cesse résonnent des 'pourquoi'?
Certes ce n'est pas ce à quoi on peut s'attendre de prime abord pour un Paul Auster (d'ailleurs à quoi vous attendez-vous, vous, avant de lire un Paul Auster? Personnellement je ne m'attends jamais à rien tant chacune de ses œuvres aussi barrées soient-elle questionnent ma réalité et mon humanité d'une telle brutalité): on retrouve ici un scénario ou les règles du récit s'appliquent par ci par là (car 'les habitudes ont la vie dure' comme Paul Auster se cite lui-même dans une phrase qu'il a fait prononcer à son personnage Izzy).
Certes cette histoire de cailloux bleu mystérieux on sait pas trop à quoi elle sert: on ne connaît pas son importance ni ou l'écrivain veut en venir (d'ailleurs je pense qu'il ne savait pas lui-même quelle importance lui donner, c'est plus une notion de libre pensée et de l'imaginaire qui s'applique ici, chacun voit midi à sa porte comme on dit) mais jamais on ne la questionne, elle nous paraît logique et d'une fluidité naturelle nous l'acceptons dans le récit que nous propose l'auteur, alors pourquoi en faire un drame? Si un petit cailloux permet de faire tomber amoureux deux belles âmes à quoi bon s'acharner à vouloir y donner du sens? L'amour n'a pas de déterminisme! Et si on admirait la beauté de cet instant au lieux de ressortir bêtement le basique: c'est n'importe quoi! Avant de dire ça il faudrait peut-être piger l'histoire deux secondes: le type vient de se prendre une balle dans le poumon et avant de crever veut racheter sa vie de misérable et rêver à une autre vie de rédemption, de pardon et d'amour ou il aurait pu devenir un autre homme, un homme bon, un amant, un aimé, alors m*rde, laissez-nous rêver deux secondes nous aussi! Comme le dit Catherine dans le livre: 'Nous avons tous des rêves en nous. La seule question c'est comment on les laisse s'envoler.' Ce rêve pour izzy c'est un peu comme un dernier exutoire, d'ailleurs il le dira lui-même: 'En réalité quand je sors d'ici, je suis nulle part'. Il sait que la mort l'attend, il essaye une dernière fois de se racheter à la vie rêvée qu'il aurait pu vivre au nom de l'amour. Moi cette histoire de petit cailloux je l'aime bien, et elle me fait du bien, elle rend l'amour possible, invincible:
'On ne découvre sa propre essence qu'en relation à autrui. C'est le grand paradoxe. On ne se saisit soi-même qu'une fois qu'on est prêt à se donner. Autrement dit, on ne peut devenir ce qu'on est avant d'être capable d'aimer. [ ... ]
L'amour est magique, après tout, non? Personne ne comprend ce que c'est, personne ne peut l'expliquer. [En parlant du Songe d'une nuit dété:] La poussière enchantée est une explication aussi valable qu'une autre, à mon avis. Et la pierre bleue aussi - cette pierre qui réunit Izzy et Celia. Ce n'est pas parce qu'une histoire est racontée sur un ton réaliste qu'elle est réaliste. Et ce n'est pas parce qu'une histoire est racontée avec fantaisie qu'elle est tirée par les cheveux. En fin de compte, la métaphore pourrait être le meilleur moyen de parvenir à la vérité.' Paul Auster
Ou comme Peter Brooke l'a aussi bien résumé: 'Dans tout ce que je fais j'essaie de combiner la proximité du quotidien et la distance du mythe. Parce que sans la proximité, on ne peut s'émouvoir et, sans la distance, on ne peut étonner.'
De plus ce petit cailloux moi je le vois plus comme la boîte de Pandore ou Izzy, l'ouvrant, y découvrirait son âme, terrifié, après tout il est en train de mourir, rappelez-vous.
Après j'en conviens, l'histoire se barre un peu en sucette, avec cette histoire de Dr Van Horn qui sorti de nulle part sort un dossier ou il y est écrit chaque évènement de la vie de notre anti-héro: à ce stade là on s'accorde pour dire qu'une seule et même personne ne peut connaître tous ces détails: c'est Izzy lui même. Il se fait l'avocat de Dieu à travers cet ange qui sonde son âme de mortel. Le Dr Van Horn ne lui veut en aucun cas du mal, il a même de la compassion pour lui, comme à un mourant il lui dit: 'Que Dieu ait pitié de votre âme'. Izzy est en quête du pardon, il se plaît à croire que l'amour à fait de lui un homme meilleur tandis qu'il admet à la fin que 'les habitudes ont la vie dure.'
Moi ce que j'ai le plus aimé dans Lulu on the bridge c'est avant tout les didascalies. Je ne suis pas une grande fan de théâtre, je m'acharne à lire du Tchekhov que j'adore et je m'acharne à aimer ça parce que parfois, avouons le c'est tout simplement grandiose (et là j'ai une pensée pour Beckett et Godot, qu'est-ce qu'on devient les mecs, depuis tout ce temps?! On attend toujours hein..) Mais dans ce scénario que nous propose Auster il y a ce je ne sais quoi qui fait que tout est suggéré, rien n'est dit et tout à la fois transparaît. Et ça c'est la magie Austérienne et celle du post-modérnisme à l'état pur, les non-dits, et ça me fait un effet fou! C'est tellement brillant! Des livres comme ça à propos de petits cailloux je pourrais en lire des centaines tous les jours s'il le fallait!
Pas encore vu le film, mais ça ne serait tarder, après un gros coup de cœur pour Smoke, c'est avec joie que je retrouverai Harvey Keitel, un de mes loubards Austérien préféré!
Mes citations préférées:
'La vie, c'est la vie, et elle n'est belle que si on la rend belle.'
'Du moment que je te donne mon cœur, c'est pour toujours. Je n'ai peut-être plus envie de vivre avec toi, mais ça ne veut pas dire que tu ne comptes plus pour moi. (Un temps.) Tu fais toujours partie de moi, grand idiot.'
'Nous sommes toutes des créatures perdus, disait-il [en parlant de Wedekind]. Ce n'est que lorsque nous l'admettons que nous avons une chance de nous trouver.'
'Vas-y. Frappe-moi. Allez, vas-y, frappe, aussi fort que tu peux. Si c'est ça qu'il faut pour que tu me touches de nouveau, alors vas-y, frappe-moi à mort si tu veux.'
'Vous en avez coupé, des ponts, dans votre vie, pas vrai?'
'De petites semences naissent de grands arbres.'