Lumière virtuelle par 0eil
Chevette, jeune coursière vivant sur un pont réaménagé en bidonville, vole à un type qui essaye de la draguer avec insistance une paire de lunettes sans se rendre compte que cette dernière contient des secrets industriels de grande valeur.
Au terme de la lecture de « Lumière Virtuelle », on se rend compte de deux choses : finalement, l'intrigue centrale des livres de Gibson paraît toujours relégué au second plan – à en croire que seul Neuromancien racontait réellement une histoire de bout en bout – mais surtout, on se rend compte que Gibson est un auteur qui mûrit de livre en livre, gagnant en maturité à mesure qu'il conçoit ses univers, dont la description est, elle, bien plus importante à ses yeux – et aux miens aussi.
Si, de héros, le roman en compte deux, Chevette et Rydell, il tient aussi par le personnage de Yamakazi, étudiant japonais qui cherche à apprendre davantage sur le « pont », ce grand bidonville qui sert de leitmotiv à l'histoire. On se retrouve au final avec une structure presque similaire à celle de « Mona Lisa s'éclate », mais mieux maîtrisé : auparavant, on découvrait les personnages sans bien saisir leur place dans l'histoire avant de se rendre compte que seule Molly faisait réellement avancer l'intrigue, privant ainsi des personnages passionnants comme Mona de « substance » au sein du récit. Ici, Rydell comme Chevette jouissent d'une construction qui leur permet autant d'être moteur de l'histoire que moteur d'un point de vue sur l'univers : il n'y a pas de scission entre l'étude presque scrupuleuse d'un espace sociologique fictionnel et l'évolution (toutefois très lente et mesurée) de l'histoire. Seul Yamakazi demeure extérieur à ce mouvement narratif, mais il n'impose pas une présence au sein du récit et surtout, s'intègre parfaitement à l'histoire. D'autant qu'en réalité, le bon étudiant japonais est surtout prétexte à des chapitres virant presque au documentaire de l'espace du récit, incorporant de nombreux témoignages dans sa démarche d'enquête sur les habitants de ce bidonville. On ne peut pas reprocher à Gibson d'être incapable de créer des univers cohérents tant ils semblent presque évidents, à la fois proche et distant de notre époque.
Mais surtout, il faut voir que « Lumière Virtuell »e n'est pas tant cyberpunk qu'il est un roman de pur récup'. Ici, le pont de San Francisco se révèle être un reliquat du passé, un objet échappant à toute logique moderniste, qui se construit dans un chaos urbain le plus complet et devient l'épine dorsale de ce roman qui, dépassant le leitmotiv du cyberpunk, essaye de s'affranchir pour devenir littéralement un conte urbain. Réduisant finalement sa portée science-fictionnelle à peau de chagrin pour expliciter plus encore la pensée élaborée du bout des pages dans le précédent roman, « Mona Lisa s'éclate », où la charmante Mona, dans un de ses rares – et douloureux – moments de lucidité, expliquait que « tout bouge si vite que s'en devient immobile ». Un livre intelligent et dangereusement proche de nous, que seul Gibson aurait pu concevoir.