Commençons cette petite chronique par une message à caractère informatif destiné à tous ceux qui auraient eu l’outrecuidance de ne jamais avoir lu Lonesome Dove, sachez qu’il s’agit d’une faute de goût caractérisée. Que vous aimiez ou non le western, c’est une oeuvre fondamentale de la littérature contemporaine (qui obtint le prix Pulitzer), un grand roman sur l’Amérique et, ce qui ne gâche rien à l’affaire, un immense plaisir de lecture. Faut-il pour autant avoir impérativement lu les deux premiers volumes de Lonesome Dove avant de s’attaquer à cette nouvelle préquelle ? Précisons tout d’abord que Lune comanche fait suite à La marche du mort, roman qui se déroulait quarante ans avant les événements de Lonesome Dove et que, oui, il est préférable d’avoir lu les précédents romans pour profiter pleinement de ce nouveau développement de l’histoire d’Augustus McCrae et de son comparse Woodrow Call. Bref, si vous n’êtes pas passé par la case départ, vous feriez mieux de vous empresser de réparer cette erreur, vous ne toucherez pas 20 000 francs pour autant, mais je vous garantis que 2000 pages plus tard vous me remercierez.
Ceux qui ont donc lus les précédents opus retrouveront avec bonheur les personnages de Gus et de Call, âgés de quelques années de plus, mais désormais éléments expérimentés du corps des Texas rangers. Guidés par le capitaine Inish Scull, un homme dur et nerveux, mais également très cultivé de par ses origines bourgeoises, ils arpentent les plaines et les déserts du Texas, afin de sécuriser la frontière et protéger les colons des raids menés par les tribus indiennes locales, en particulier les féroces Comanches, dont le chef Buffalo Hump leur donne du fil à retordre. Ces prodigieux cavaliers que sont les Comanches sont des adversaires redoutables et redoutés, y compris par les autres tribus indiennes, qui craignent leur science du combat et leur cruauté légendaire. L’un d’entre-eux, Kicking Wolf, est l’un des plus habiles, si ce n’est le plus habile, voleurs de chevaux du Texas. Son talent n’a pas d’égal et il est capable de voler n’importe quel cheval au nez et à la barbe des sentinelles les plus aguerries. En temps normal, les rangers n’auraient pas grand chose à craindre de ses forfaits étant donné la piètre qualité de leurs montures, mais le capitaine Scull monte un véritable phénomène, un cheval immense et puissant, qui lui valut d’être surnommé Big Horse Scull. Voler ce cheval représenterait un immense exploit et Kicking Wolf se plaît à rêver de le réaliser. Ainsi on chanterait ses hauts faits dans toutes les tribus à l’est du Rio Grande. Avec la ruse du renard et la discrétion d’un félin, Kicking Wolf s’empare à l’occasion d’une nuit sans lune du cheval tant convoité, mais que faire d’un tel trophée, sans compter que le capitaine Scull tentera certainement de récupérer sa monture en le traquant sans relâche. Accompagné de son plus fidèle ami, Kicking Wolf se rend donc en direction du Mexique, à la rencontre d’Ahumado, un terrible chef indien, dont la cruauté est devenue légendaire et qui terrifie jusqu’aux Comanches les plus intrépides. En lui offrant cette superbe bête, il espère faire d’Ahumado son allié. De son côté, le capitaine Scull est bien décidé à récupérer son bien et part sur les traces de Kicking Wolf, à pied, accompagné seulement d’un éclaireur indien. Bombardés capitaines, Gus et Call devront reprendre en main les Texas rangers, afin de mener à bien leurs missions de surveillance et de protection des colons.
Pas de surprise avec cet ultime opus de Lonesome Dove, qui se situe dans la droite lignée des précédents. Toujours aussi bien mené, le récit se dévore avec un rare plaisir de lecture, grâce à l’écriture fluide et prenante de Larry McMurtry. Mais le roman vaut moins pour son style que pour la qualité de sa narration et pour l’extrême soin que l’auteur apporte à ses personnages. Qu’ils soient déjà éprouvés (Gus, Call, Kicking Wolf ou bien Buffalo Hump) ou inédits (Scull, Deets ou Ahumado), tous sont des personnages complexes, très bien caractérisés et pour la plupart attachants (ou à défaut fascinants) grâce au sens du détail dont McMurtry fait preuve pour chacun d’eux. Loin de tout manichéisme, ce qui paraît le minimum attendu pour un western moderne, Lune Comanche réserve son petit lot de surprises et de révélations sur la vie de Gus et de Call, qu’il serait évidemment du plus mauvais effet de révéler ici. Si vous avez déjà lu Lonesome Dove, Lune Comanche est donc un passage obligé puisqu’il pose la dernière pièce du puzzle, cette grande fresque commencée dans les années 80 et qui à mon sens représente la quintessence du western contemporain. D’autres oeuvres ont indiscutablement marqué le genre (on pense en particulier aux nouvelles de Dorothy Johnson), mais peu ont réussi à le faire de manière aussi brillante et humaniste. Se plonger dans l’oeuvre de Larry McMurtry, c’est toucher du doigt l’essence même de l’Amérique, de son histoire douloureuse, de ses fondements et de ses contradictions… Cet attachement viscéral à la liberté, cette fascination pour la violence (ou plutôt son acceptation résignée), cette obstination à vouloir conquérir, au prix du sang et de la mort, des terres souvent ingrates demeurent parfois un mystères pour nous autres européens modernes et lorsque les livres d’histoire ne sont pas suffisants pour en cerner les contours, la fiction vient en renfort, nous aidant à mieux toucher du doigt cette grande aventure humaine que fut la conquête du grand ouest américain.