Visiblement, le statut de la femme japonaise n'a guère évolué depuis les années 50, tel qu'il était décrit notamment dans les splendides films de Mikio Naruse. Dans cette société patriarcale, si les femmes ont le droit de travailler, quand même, leur mission reste toujours de procréer, de tenir la maison et de veiller au bien-être d'un mari assez souvent absent du domicile conjugal et épuisé par son travail, lui (rires sarcastiques). Avec son héroïne frustrée, qui se rebelle peu à peu contre les conventions, tout en tombant dans les rets du consumérisme, vu comme une drogue dure, Lune de papier dresse un froid constat par le biais d'une fiction assez habilement construite. Mitsuyo Kakuta n'est pas tombée dans le piège de l'empathie pour son personnage principal, qui est une aigrefine (oui, le féminin n'existe pas, mais c'est joli, non ?) mais elle réussit à nous faire entrer dans sa tête, via son passé, l'engrenage fatal qui l'a conduit à escroquer des personnes âgées et la vision qu'ont d'elle ceux qui l'ont côtoyée, notamment au lycée. Volontairement dénué d'émotion et parfois répétitif dans ses scènes de fièvre acheteuse, Lune de papier est une démonstration percutante et acide auquel il manque peut-être un peu plus d'humanité. Mais c'est un roman qui colle parfaitement à la réalité d'une société où le verbe avoir est bien plus important que le verbe être.