Il y a, dans ce court roman de Steinbeck, un grand et bouleversent roman. Il y a d'abord la plume que l'on aime chez l'écrivain, cette si haute qualité narrative, conjuguant à la perfection simplicité et profondeur, formant, oui, une véritable poésie ; une plume, même si le mot est dévoyé, d'un humanisme authentique. Il y a au coeur de ces mots simples et ces phrases fortes, une grande leçon comme Orwell saurait en donner, sur la valeur et le sens de la liberté, sur ce que la guerre fait naître chez les simples gens, qui sont aussi les plus grands : la résistance pour la défense de ce que vivre veut dire, de cette décence ordinaire qui n'est rien d'autre que le sens réel d'une vie juste et, avec elle, de la vraie justice. Il y a encore, au-delà de la grande idée du juste, de l'idéal de liberté, un portrait fort touchant de l'humaine condition en temps de guerre, digne du silence de la mer de Vercors : un texte important qui rappelle que la guerre est une chose terriblement humaine qui abîme terriblement les hommes ; et qu'il faut être des plus grands d'entre eux lorsque, appartenant au mauvais camps, se retrouvant valet/soldat des puissants qui sont passés à la folie avant les puissants d'en face, il faut faire la guerre, mener la bataille, exécuter les ordres vils et cruels pour ces fous ivres de conquêtes et de pouvoir, et comment ces soldats/valets mènent un propre combat intérieur pour rester hommes dans cette entreprise de mise à mort de l'idée même d'humanité…
En lisant L'une noire, la mise en berne d'un astre qui a, de tout temps, servi aux hommes à se guider, à trouver la voie à suivre… on comprend que Steinbeck n'est pas l'auteur des quelques grands livres (des souris et des hommes, Les raisins de la colère, À l'Est d'Eden) mais un de ces grands de la littérature qui honorent les titres dont on les pare plus qu'ils n'en sont honorés.