Habitante d'Athènes (mais non citoyenne, car les femmes n'accédaient pas à ce statut à l'époque d'Aristophane), Lysistrata s'est fixé pour but d'arrêter la guerre entre Athènes et Sparte. Pour ce faire, elle compte sur la solidarité des femmes des autres cités impliquées dans le conflit, ainsi que sur deux tactiques exploitées conjointement : le refus desdites femmes de coucher avec leurs maris et, ce qui est sans doute au moins aussi important, la prise de la citadelle de l'Acropole et du trésor public, que convoitent naturellement les hommes pour financer la guerre. S'ensuivent inévitablement des conflits entre les hommes qui se trouvent à Athènes (pour la plupart des vieillards) et les femmes qui tiennent le siège, conflits envenimés par la frustration sexuelle des unes et des autres, jusqu'au jour où la solution diplomatique s'impose enfin.
Ce n'est probablement pas le choix de pièce le plus judicieux pour aborder Aristophane, en supposant qu'Aristophane soit encore suffisamment compréhensible de nos jours. Auteur porté sur la satire sociale et politique, qui a beaucoup écrit sur le sujet de la guerre et de la paix (du moins d'après ce qui nous reste de lui), il convient d'être, sinon un helléniste distingué, du moins bien renseigné sur le monde grec du Vème siècle avant notre ère pour, au moins, saisir le contexte et l'objectif du dramaturge. Ce qui n'est déjà pas gagné pour quelqu'un tel que moi, peu au fait de l'histoire de la Grèce ancienne. Alors bon, j'ai révisé un tant soit peu, mais je dois dire que ça ne m'a pas vraiment aidé à apprécier Lysistrata. Il faut préciser que le comique d'Aristophane ne s'y limite pas à des répliques et à des situations graveleuses (lourdes, oui, mais marrantes tout de même, tout comme les Monthy Python peuvent être lourds et drôles). Il utilise des expressions surprenantes... pour son public, certes, mais incompréhensibles pour nous autres lecteurs du XXIème siècle. Alors oui, on peut lire les annotations des différentes éditions, mais le rire ne suit pas. De même, il imite le style d'Euripide ou d'Eschyle (que, personnellement, je suis bien incapable de reconnaître, ni en français, ni en grec ancien, que je ne lis pas, croyez-le ou pas), et utilise moult références qui, pour moi, n'ont aucun sens. La faute à mon inculture ? À un texte qui n'était pas conçu pour passer les siècles et les civilisations ?
Il me paraît en tout cas à peu près certain que, Aristophane ayant déjà écrit plusieurs fois auparavant sur la nécessité de la paix, ce n'était peut-être pas une bonne idée de choisir Lysistrata pour découvrir le sujet avec son auteur. Pour autant, est-ce qu'un lecteur lambda ne peut rien tirer de Lysistrata ? Bon, soyons clairs, on ne rit pas des masses. Mais on peut au moins comprendre qu'Aristophane a choisi de mettre en scène une situation absurde : les femmes au pouvoir. Absurde, parce que là n'est pas et ne sera jamais, selon les lois de la société athénienne, leur fonction, mais pas plus absurde, selon Aristophane, qu'une guerre du Péloponnèse qui dure depuis vingt ans (la pièce a été écrite en -411), d’autant qu'Athènes a récemment subi une défaite cuisante et que la cité est plus ou moins ruinée par ce conflit qui s'éternise avec Sparte pour la domination sur la région. Les femmes au pouvoir, c'est toute la société qui marche sur la tête, et les situations de grand renversement, nous savons bien que c'est depuis longtemps un motif utilisé pour susciter le comique. Pour le reste, on a évidemment aucun mal à saisir les saillies scabreuses et autres joyeusetés du même genre. Je regrette pour le coup de ne pas avoir eu en main une édition illustrée par les dessins d'Aubrey Beardsley (mais je ne crois pas que ça existe en français). Pour dire le vrai, ce sont ses œuvres, présentées au cours d'une expo au musée d'Orsay, mais soigneusement cachées dans un coin par le commissaire d'exposition, qui m'avaient donné envie de lire la pièce. Je vous conseille d'y jeter un œil sur le Net !