Ma chère Lise par madamedub
Dans une rentrée littéraire où les ego et les poids lourds ne sont jamais bien loin, qu'il est bon de dénicher un roman "frais". Qui plus est un roman court, écrit très gros, et que l'on a la chance de voir imprimé dans la délicate, discrète et classieuse présentation des éditions de Minuit. Un roman simple, mais pas tant ; juste, mais pas tant que cela ; car "Ma Chère Lise" ne saurait sacrifier ni au réalisme, ni à l'imaginaire. Il est une bulle, une parenthèse, qui emprunte aussi bien aux situations les plus prosaïques qu'aux songes accompagnant des comportements purs et limpides au premier abord.
"Ma Chère Lise" est ce que l'on peut appeler un éclat littéraire. Une plongée dans un réel vu depuis le fond d'une piscine : un réel mouvant, évanescent, flottant, auquel on ne peut croire tout en ne pouvant le remettre en cause. Difficile de décrire ce délicat équilibre stylistique qui fait penser, pour ceux qui ont eu la chance de le voir, au délicieux "Tomboy", ce film de Céline Sciamma sorti au printemps dernier. Si l'auteur de ces lignes se hasarde à une comparaison cinématographique, c'est autant par goût que parce que "Ma Chère Lise" est un roman que l'on pourrait qualifié d'"écrit en scènes" tant il est composé de courts chapitres qui sont autant de décors.
Lise, 15 ans. Son professeur particulier, dix de plus. Elle, fille parisienne d'un père raisonnablement célèbre. Lui, fils de parents humbles dont la maison jouxte une voie ferrée du Vaucluse. Elle, quelque part entre l'enfance joueuse et une séduction maladroite et pas si involontaire. Lui, quelque part entre le jeune homme et l'homme. Lui, précepteur de la grammaire et de l'histoire. Elle, prescripteur de la vie et des sentiments de son professeur. La première phrase du roman : "Lise s'amusait d'un rien, en l'occurrence de moi". Il est le narrateur.
Passons les limites de cet exercice et de ce premier roman : des formulations parfois faciles, une narration par moments inégale et abrupte et, finalement, un refus tantôt coupable d'allonger les scènes qui donne parfois au lecteur le tournis tant les décors changent toutes les huit pages. Louons les qualités de l'exercice, à commencer par la capacité de l'auteur à éviter les pièges classiques du premier roman ; il se refuse heureusement, par exemple, à tomber dans l'explicatif et le didactique. Privilégiant les "scènes" – simples et quotidiennes, presque à la manière d'un "Somewhere", le dernier film très injustement sous coté de Sofia Coppola – à de lourds passages psychologiques, il ne cède jamais à la tentation de rendre son œuvre claire pour tous ; ce qui la rend plus limpide. L'humilité de l'auteur – qui a bien compris que "qui trop embrasse mal étreint" – devrait être prise en exemple par beaucoup : alors, certes, cette modestie empêche peut-être "Ma Chère Lise" de trôner là-haut, tout en haut, dans la catégories des petits chefs d'œuvre ; mais elle laisse entr'apercevoir toutes les qualités d'un auteur qui aura tout le temps de s'essayer à la grandiloquence.
Autre qualité majeure : la cohérence de l'œuvre, dont les éléments s'imbriquent les uns dans les autres, donnant à cette accumulation de scènes une véritable saveur dramatique qui ne se révèle jamais pesante tant Vincent Almendros prend bien garde de dédramatiser son petit drame intime. Tout comme il fait bien attention à ne pas tomber dans le déterminisme facile. Par exemple, la dimension sociale n'est pas absente de ce livre où domination affective de Lise ne fait pas économie de son pendant socioéconomique : mais l'auteur ne la rend jamais étouffante et poseuse. Il est touchant de voir le narrateur se débattre dans un milieu dans lequel il a finalement tous les codes, mais sans s'en rendre véritablement conscience. Se postant constamment en situation d'infériorité symbolique, il subit les choses, sorte de sac plastique ballotté par les vents – à moins que ce ne soit par le souffle de Lise. Voire d'une autre, Camille, qui, elle aussi, "s'amuse d'un rien". Le rien est-il une situation insignifiante ? Ou un homme insignifiant ?
Car ce qui rend peut-être "Ma Chère Lise" aussi touchant, c'est l'impuissance de son narrateur et personnage principal, qui ne voit dans ses petites victoires qu'une sorte de consolation pour ce qu'il sait inévitable : elle décidera. Il est à disposition. Elle dispose. "Ma Chère Lise" serait comme la lettre mémorielle d'un amour inachevé que le narrateur n'aurait jamais eu le courage d'adresser à la jeune fille, l'incipit qui aurait dû terminer dans la corbeille, avec les autres papiers froissés...
"Ma Chère Lise" serait aussi un titre subjectif d'un narrateur impuissant fantasmant la (très) jeune fille. Car la "chère Lise" joue son rôle de dominatrice sans le savoir. Ou en feignant de l'ignorer. De là à imaginer la petite Lise le sourire en coin et l'œil malin, il y a une barrière que Vincent Almendros a le bon goût de ne jamais franchir. Au lecteur de se faire son idée. Car, derrière l'apparente banalité des scènes et de ce quotidien fait de vacances et de petits moments se noue une relation bien plus complexe où se mêlent la relation du narrateur à sa propre enfance, les sentiments du narrateur vis-à-vis de la jeune enfant et la faiblesse d'un narrateur dont l'âge et la culture finissent par ne plus être des atouts, mais des sources d'embarras.
Bref, une très belle découverte qui, avec ses bienheureuses qualités et ses quelques défauts, nous fait découvrir un nouvel auteur que l'on a envie de suivre comme notre jeune professeur suit Lise. En se laissant porter, ballotter, par les mots simples, mais assurés de Vincent Almendros.
TM