Ce "livre" (cf. son introduction) est un recueil de textes de différentes formes et de différents buts entrecoupés de lettre à ses amis.
On peut voir ça comme une entreprise autobiographique, la vie de Hocquard contenant, entre autres, deux grandes passions la lecture et l'écriture de poésie (sans majuscule si possible).
En fait le titre du livre est lumineusement expliqué dans un texte de celui-ci. Car il ne va pas être question d'hermétisme ici, les grandes influences de Hocquard sont les objectivistes (Reznikoff, Zukofski, Oppen) ainsi que Wittgenstein bref en gros on ne va pas raconter n'importe quoi ni se prendre pour n'importe qui, pas d'histrionisme douteux, pas de postures adolescentes.
Le grand choc esthétique de Hocquard c'est donc la poésie américaine, outre les objectivistes il a traduit et a été traduit par Michael Palmer, il a édité de nombreux receuils, des anthologies, organisé des lectures et des rencontres. Il en a retiré une conception de la poésie, une éthique presque qu'il décrit ici et là, à l'occasion de conférences ou de préfaces.
Plus qu'au post-modernisme, Hocquard veut se rattacher à ce qu’il appelle la "modernité négative" qui se définit comme une série d'impossibilité auxquelles le poème doit se soumettre hic et nunc.
Refus du lyrisme, refus de la musicalité (du "chantage"), refus des rimes, refus des métaphores.
En se dépouillant de ses attributs millénaires, le poète fait un "vœu de pauvreté". Il y a la recherche d'une poésie mineure comme la littérature mineure chère à Deleuze.
La préoccupation du poète doit avant tout être le langage et particulièrement la grammaire, Hocquard a vu apparaitre une génération qu'il qualifie de "post-grammariens", il a lui-même enseigné la grammaire tout en luttant contre elle (ce monopole d'Etat).
Mais bon il n'est pas très utile de gloser très longtemps là-dessus tant les textes "théoriques" de Hocquard éblouissent par leur clarté, leur simplicité, leur ton non-surplombant, leur évidence, de sa théorie de l'élégie à un vers de Gugliemi (aië j'ai fait une rime, vade retro satanas), dans son explication de l'intention, du destinataire, on n’a jamais rien lu d’aussi net et intelligent sur des sujets aussi voilés en apparence.
Tout ça pourrait donner des "poèmes" illisibles et sinistres mais la même évidence s'impose dans les textes poétiques ou dans les textes inclassables ainsi qu'un humour discret.
Parmi les plus réussis: Un poème-feuilleton nommé "Allée de poivriers en Californie"; un poème reznikoffien basé sur Tite-Live, un très court texte, une expérience grammairienne intitulée "casser la phrase" etc…
On trouvera aussi un roman-photo avec une partie sans photo et l'autre sans texte, à l'allure de polar métaphysique, un guide touristique hilarant, de nombreux compte-rendu de voyages, de pêche, de jardinage.
Il y a une parenté avec Perec (que Hocquard a compilé dans une anthologie de poésie contemporaine brillamment intitulé « Tout le monde ce ressemble » ) dans la précision, dans les listes, dans le "Je me souviens", dans l'infra-ordinaire, dans cette volonté de sauvegarder des phénomènes (et Hocquard est aussi photographe).
Bref plein de choses passionnantes dans ce livre trop court (oui 600 pages seulement)mais avant tout une position particulière.
"Hélas! le langage n'explique pas le monde, il en fait partie."