Macbeth, ce vil coquin
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Puisqu’il paraît inévitable de ne pas évoquer Macbeth sans parler de traduction – et sans parler de soi… –, je précise que c’est le texte traduit par Marcel Schwob entre 1902 et 1905 qui fait l’objet de cette critique (1). Ce que j’avais retenu de ma première lecture de la pièce, c’étaient les grandes lignes de l’intrigue, les tergiversations (« Si une fois, quand ce sera fait, c’était fait pour toujours… », I, 7) la présence de sorcières et de leurs formules magiques, et la fameuse tirade de la brief candle…
Je ne me souvenais plus que la pièce était si brève, elle aussi (2). Tout s’enchaîne et tout se tient, avec juste ce qu’il faut de chair poétique pour couvrir le squelette comploteur de l’intrigue, de personnages incarnés pour le mouvoir, de sang pour faire vivre tout cela. Trop brève ? Peut-être, mais comme peuvent l’être une partie de cartes pour un joueur, un tour de manège pour un enfant, un rêve délicieux pour n’importe qui. Je fais pourtant partie des lecteurs qui ont très rarement envie de rouvrir un livre à peine lu.
Je ne me souvenais pas que dans cette pièce aussi Shakespeare joue de la mise en abyme : « Messieurs mes amis, vos peines sont désormais inscrites sur une page que je relirai chaque jour » (Macbeth, I, 3). Je ne me souvenais pas non plus qu’on y tuait un enfant. Comme ça, presque gratuitement, sur ordre d’un Macbeth qui sait pourtant que le fils de Macduff, étant « né d’une femme », ne présente aucun danger. Il me semble que ce passage, en apparence anodin, révèle pourtant deux traits de la pièce.
Le premier, c’est le caractère enfantin de Macbeth lui-même : capricieux, assez superstitieux pour croire aux fantômes et influencé par une femme. C’est même un enfant qui voudrait tout avoir : « Tu ne voudrais pas piper au jeu et pourtant tu voudrais gagner à toute force », lui dit lady Macbeth par procuration (I, 5). Plus tard : « il faut des yeux d’enfant pour avoir peur du diable en peinture » (II, 2). Traduction moderne : arrête de faire ton bébé, tu es un grand garçon…
Le second, c’est que Macbeth n’est pas qu’une pièce sur le mal : elle est une pièce sur sa contagiosité. « Bien mal acquis se maintient par le mal » (Macbeth à lady Macbeth, III, 2). Le mal ici se répand non seulement d’un individu à l’autre, sans qu’on sache très bien qui en est le foyer : les sorcières ? Macbeth ? lady Macbeth ? voire les assassins ? ; mais il circule indifféremment du politique au privé, du moral au physique (les fameuses mains sanglantes), du spectral au concret.
Enfin, il se répand par les mots. C’est flagrant dans l’appel de lady Macbeth à son mari : « Hâte-toi, viens ça [sic], que j’instille mon vouloir dans ton oreille, que je lacère par la violence de mon langage tout ce qui s’écarte de ce cercle d’or dont le destin et les puissances transcendantales semblent vouloir te couronner » (I, 5). De telles remarques sur le pouvoir maléfique de la parole courent dans toute la pièce. Et je pense que si Macduff est épargné par le mal, ce n’est pas seulement parce qu’il n’est pas « né d’une femme », mais aussi parce qu’il refuse la parole : « Ne me faites pas parler ; allez voir, et parlez vous-mêmes » (II, 3), dit-il pour annoncer la mort de Duncan.
Cette attention accordée aux mots vient peut-être aussi de la traduction – je me garde pour plus tard le plaisir de relire Macbeth en entier dans une édition bilingue. D’une façon générale, une partie des pistes d’analyse que je propose ci-dessus concerne peut-être plus Macbeth de Marcel Schwob que Macbeth de Shakespeare. Car à en juger par les quelques passages que j’ai pu comparer, l’auteur des Vies imaginaires fait partie de cette école de traducteurs plus généreux avec leurs lecteurs que pointilleux vis-à-vis du texte, qu’ils approprient à leur manière de faire.
(1) Pendant qu’on est dans les précisions, la notice qui ouvre l’ouvrage réédité par Grasset en 2016 accumule les erreurs. C’est gênant de se tromper sur prénom d’un traducteur quand on fait de son nom un argument de vente.
(2) Vérification faite, elle est d’autant plus courte qu’il manque trois scènes à la traduction de Schwob (III, 5-6 et IV, 3) – et cette fois les éditions Grasset n’y sont pour rien. L’une (III, 5) est supposément une interpolation de Middleton, mais quid des deux autres ?
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Créée
le 18 mai 2020
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