Qu'il fait bon vivre en 3896, sur une planète où les conflits ont disparu, de même que toute technologie polluante et même le travail, puisque les humains ont à leur disposition des animaux, les "stors", qui les déchargent de toutes tâches. Ces bêtes sont par ailleurs la base de l'alimentation des humains qui vivent benoîtement dans une société post-nazie (l'histoire passée est riche de bouleversements mais désormais le monde est pacifié). Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, décrit par Jaroslav Melnik dans Macha ou le IVe siècle, si quelques récalcitrants ne commençaient à ruer dans les brancards en fustigeant cette civilisation qui traite les stors comme des bêtes de somme, certes anthropomorphes, mais dénués de la parole, de conscience et de sentiments "humains." De là à évoquer le cannibalisme intrinsèque et décomplexé du IVe Reich, il n'y a qu'un pas pour ses opposants qui commencent à se faire entendre. Si le roman de Jaroslav Melnik rappelle quelque peu Cadavres exquis, de l'argentine Augustina Bazterica, paru en France l'an dernier, il s'en éloigne quelque peu par son climat moins nauséeux (quoique, parfois ...) et surtout par une vision plus large, plus subtile et plus posée de nos valeurs en tant qu'êtres humains, notamment vis-à-vis de la condition animale, en particulier, et du respect de la vie, en général. Le livre alterne l'histoire d'un journaliste qui prend peu à peu conscience de la monstruosité de la société dans laquelle il vit, alors qu'il tombe amoureux d'une stor à son service, et des extraits de journaux du Reich qui argumentent à l'envi sur le bien-fondé du Régime et de l'inconséquence de ceux qui voient une parcelle d'humanité dans les animaux. Ce conte philosophique est plutôt bien troussé et ménage un bon équilibre entre thriller pur d'anticipation (avec un énorme twist au final) et réflexion de fond, celle-ci fondamentalement antispéciste, sans pour autant marteler ses convictions. Il est utile de préciser, malgré tout, que le livre est parfois assez sordide, voire gore, et ne conviendra pas à des estomacs délicats. Il en faut bien solide pour supporter l'ironie du stor.