"pourquoi, mon Dieu, me suis-je mariée ?"

Le fait est connu : Flaubert a été attaqué en justice pour atteinte aux bonnes mœurs suite à son roman Madame Bovary, dont l'éditeur avait déjà, au préalable, censuré quelques passages. A la lecture du roman, il est clair que l'accusation est un peu faussée, selon moi.
Pourquoi ?
En effet, Flaubert nous parle d'une femme adultère. mais ce n'est pas la première fois que cela arrive en littérature, et ça n'avait pas forcément choqué autant auparavant.
Alors, qu'y-a-t-il dans ce roman qui puisse autant faire peur à des autorités ?
Madame Bovary est une destruction systématique de la bourgeoisie, de la vie dans les villages, de la paysannerie, etc. En bref, un laminage en règle de tout ce qui constituait la France du Second Empire. Ce qui n'est pas très pardonnable.
Même la littérature s'en prend plein la figure, depuis les romans à l'eau de rose jusqu'à Lamartine lui-même (ce qui, dans l'esprit de Flaubert, semble revenir au même).
On a donc des personnages qui sont plus des figures, des types, des stéréotypes caricaturés. Les noms eux-mêmes ont été soigneusement sélectionnés, depuis M. Lheureux (qui semble être directement responsable du suicide d'Emma) jusqu'à Bovary lui-même, dont le nom renvoie au Boeuf (tant pour rappeler ses origines paysannes que par son caractère bovin).
Les personnages s'en prennent tous plein la figure, sans qu'il y en ait un pour rattraper les autres. Homais, Rodolphe, le curé, les médecins des villes voisines, l'Aveugle qui apparaît comme un messager de la mort, Léon, le maire Tuvache, Bovary mère, nous avons une galerie de portraits tous plus idiots, infâmes, ignobles les uns que les autres. Du concentré de caricature, des applications "vivantes" du dictionnaire des idées reçues que l'auteur publiera plus tard.
Voilà mes premiers griefs contre Madame Bovary : le roman est un véritable déferlement de haine. Une haine froide, intériorisée, que Flaubert essaie de masquer derrière une maîtrise littéraire, mais une haine évidente qui transpire à chaque ligne.
Certes, les romans qui s'opposent à la bourgeoisie, c'est presque un lieu commun de la littérature francophone, de Zola à Mauriac, en passant par Balzac ou Simenon. Mais il est rare de trouver un tel déferlement de haine de tout côté, contre la bourgeoisie, contre la religion, contre les scientistes, contre l'esprit villageois, contre les fêtes traditionnelles, contre les proverbes agricoles, etc. Tout y passe, et ça en devient lassant.
Plusieurs fois je me suis demandé pourquoi Flaubert semble ainsi détester le monde entier. Quel est le moteur de cette haine qui suinte partout ? D'autant plus que le roman semble fortement s'inspirer des connaissances de l'auteur lui-même...


Donc, me voilà gêné par ce roman de haine absolue. d'autant plus que Charles, moi, je l'aime bien. C'est vrai, c'est un bon pépère, le papa gâteau un peu benêt mais qui, au moins, ne se prend pas pour un demi-dieu de la science triomphante, comme Homais. Charles, c'est plus la victime innocente, dans toute cette affaire.
D'autant plus que Charles est le seul à ne pas vouloir paraître ce qu'il n'est pas. Dans ce village figé, tout le monde joue à se donner des apparences, des airs supérieurs. Charles, lui, est honnête. idiot, mais honnête.
Alors, certes, cette bêbête d'Emma, quand elle rêve de romances éthérées, d'enlèvement passionné par un fougueux amant, de villes splendides aux cathédrales de marbre, et qu'elle se retrouve à Yonville-L'Abbaye avec Charles, ça doit lui faire un choc. Mais, franchement, elle est pas très maligne, non plus, la bobonne ! En bref, Emma, j'ai eu assez fortement envie de la baffer.
D'autant plus que Flaubert s'acharne à vouloir décrédibiliser sa romance. Le chapitre des comices agricoles, où le discours amoureux préfabriqué de Rodolphe se superpose au discours politique préfabriqué du secrétaire du préfet, ça donne un truc assez sympa. Tiens, ça fait une cible de plus pour Flaubert...


En écrivant l'Education Sentimentale (oh ! diantre, je ne tenterai même pas de le relire, celui-là !), Flaubert a prétendu faire un roman sur "rien". Et bien, j'ai eu souvent l'impression que Madame Bovary, c'est un roman sur le vide. Le vide des existences, le vide des prétentions, la vacuité des apparences derrière lesquelles on ne trouve rien, le vide du ciel même, mais aussi le vide de la science... tout semble marqué par le vide.


Triomphe du style, dit-on. Certes. On le sait, Flaubert a mis des années à écrire ce roman, ciselant chaque phrase pour que cela atteigne la perfection.
Mais le résultat me paraît être contraire à l'objectif. Madame Bovary m'a constamment apparu être une sorte de diamant superbe mais entièrement froid, dénué de la moindre émotion. De plus, l'ironie mordante de l'auteur nous éloigne encore plus de personnages qui se retrouvent être, finalement, des marionnettes exprimant les idées de l'écrivain. Loin des révoltes de Zola, Flaubert reste glacial et déplaisant.


[-1
Je laisse une note au-dessus de la moyenne par rapport aux efforts d'écritures. Mais si je prenais en compte mon déplaisir de lecteur, alors ce serait 5/10]

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le 26 avr. 2015

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SanFelice

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