Moraliste, moral, moralisant, notre Balzac ? Moraliste, il l’est sans contredit, tout imprégné de ce XVIIe siècle pour lequel il se sentait peut-être né – j’y reviendrai plus bas. Moral, il s’est efforcé de l’être, et la défense à ce sujet d’un Théophile Gautier, par exemple (1), semble bien montrer que ce n’était pas si évident que cela pour une partie de ses contemporains. Moralisant, c’est ce qui peut gêner le lecteur actuel, assez peu sensible aux charmes d’un récit édifiant ou d’un tableau d’une famille unie (2)…
En l’occurrence, ce tout est bien qui finit bien-là transforme ce qui semble être la captation de la fortune d’un jeune héritier par une grue de la haute en un acte d’amour généreux, pur, et légalisé par le mariage. Un peu plus et on se croirait à un procès Balkany ! Mais la défense tient, l’acquittement sera prononcé.
Ce ne sont pourtant pas les réquisitoires de l’« oncle à dénouement » (p. 159) M. de Bourbonne ou les plaidoiries de son neveu Octave de Camps qui retiennent l’attention dans Madame Firmiani, mais l’ensemble des témoignages constituant le début de la nouvelle. Le récit s’ouvre en effet par un genre de portrait collectif du personnage éponyme, collectif dans le sens où divers types parisiens : « le Positif », « le Flâneur », les « Personnels », « le Lycéen » le « Fat », l’« Amateur », etc. apportent leur touche. Autrement dit, on n’a pas un regard porté sur plusieurs personnages, comme habituellement dans la Comédie humaine, mais plusieurs regards portés sur un personnage. C’est une autre modalité de cette faculté de déguisement d’un auteur qui « a, non pas toujours, mais souvent observé en lui-même les types nombreux qui vivent dans son œuvre. C’est pour cela qu’ils sont si complets » (je reprends le témoignage de Gautier).
Évidemment, on n’atteint pas encore cette diffraction du personnage de fiction telle que la pratiquera plus d’un auteur à partir de la seconde moitié du XXe siècle – une diffraction pratiquée en réalité, me semble-t-il, dès le Tristram Shandy de Sterne, que l’auteur de la Peau de chagrin appréciait. Et théoriquement, « Les observations par lesquelles cette histoire commence étaient donc nécessaires pour opposer la vraie Firmiani à la Firmiani du monde. » (p. 152). Cependant un tel procédé apporte incontestablement un peu d’air à la Comédie humaine : dans Madame Firmiani, Balzac paraît jouer.
Il joue avec ses propres codes, notamment avec celui de la description univoque et exhaustive qu’on retrouve partout dans son œuvre. C’est peut-être une forme d’humour incompris, car je reste persuadé que quand Balzac cherche à être drôle, c’est avec une légèreté qui tranche avec l’épaisseur – sans connotation péjorative – qu’il manifeste régulièrement. Ce n’est peut-être pas le meilleur à ce jeu-là, et il peut donner l’impression d’être un enfant qui joue aux jonchets avec des moufles, mais enfin j’ai trouvé le plaisir qu’il y prend communicatif.
(1) À la fin de son Balzac de 1858.
(2) Qu’une partie de la Comédie humaine contribue à mettre au jour les secrets parfois turpides qui se trouvent derrière ces tableaux n’est d’ailleurs pas son moindre paradoxe.