Lorsque son père meurt ruiné, Fazil plonge dans la précarité. Il trouve à se loger dans un quartier populaire, et tâche de financer ses études littéraires en faisant de la figuration pour une chaîne de télévision. Tandis que la peur monte dans le pays sous la pression croissante de la violence et de l’arbitraire d’un totalitarisme religieux, le jeune homme cherche un sens à sa vie, à la croisée de sa passion pour la littérature et de son amour pour deux femmes aux antipodes l’une de l’autre. Sila est une étudiante de son âge, déterminée à partir chercher la liberté à l’étranger. Madame Hayat est une femme mûre et sensuelle, que rien ne semble pouvoir empêcher de rester elle-même, flamboyante et insaisissable.
Rédigé pendant les années d’incarcération politique d’Ahmet Altan, libéré en avril dernier, le roman file la métaphore pour un incoercible chant à la liberté. Sur l’arrière-plan d’un pays sombrant dans la terreur et l’oppression, qui, s’il n’est jamais nommé, semble pointer un futur proche en Turquie, l’apprentissage du jeune Fazil est l’occasion pour l’auteur de partager ses déchirements et ses réflexions sur la meilleure manière de rester libre. Si, à travers Sila, se profile sa passion pour cet incomparable vecteur de liberté qu’est la littérature, avec la tentation de partir la cultiver à loisir dans la fuite et dans l’exil, c’est une autre forme d’irréductible indépendance, celle qui vous vient de choix assumés sans concession, quoi qu’ils coûtent, parce qu’ils sont les plus en accord avec vous-même, qu’incarne Madame Hayat.
Cette femme, dont le nom signifie « la vie » en turc, apprend au jeune homme que l’on ne peut vivre pleinement et librement qu’en oubliant passé et avenir pour se concentrer, sans remord ni crainte, sur l’instant présent. Rien à perdre, pas de « peur d’avoir peur », juste l’évidence présente : une philosophie de vie dont on conçoit aisément à quel point elle peut façonner les choix de l’auteur dans la poursuite sans exil de son oeuvre, malgré la coercition. C’est exactement celle qui guide les irréductibles combattantes de la liberté kurdes face à Daech, dans S’il n’en reste qu’une de Patrice Franceschi...
Comment ne pas être à nouveau impressionné par cette dernière parution de l’auteur ? Plus encore qu’un formidable hommage à la littérature et à ses pouvoirs d’émancipation, c’est cette fois, face à l’oppression directement subie, une ardente déclaration d’amour à la liberté que nous livre l’irréductible plume, toujours aussi élégante et éclairée, d’Ahmet Altan.
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