Associez nouvelle, Vienne et début du XXème siècle, et vous risquez de penser directement à Stefan Zweig, célèbre pour ses courtes nouvelles teintées de psychologie et de concision à son paroxysme. Mais suite à une discussion avec l’érudit Senscritchaïev, je découvris Arthur Schnitzler, lui aussi écrivain viennois, et contemporain de Zweig, et dont le style est peut-être plus fougueux, et beaucoup moins porté sur cette fameuse concision. Mais tout aussi psychologique.
Parce que Mademoiselle Else, c’est l’histoire d’une jeune fille en proie à un effroyable dilemme : son père risque la prison à cause de certaines petites magouilles financières, et sa mère lui demande de rassembler la somme pour lui éviter ce déshonneur. Et quand on est une belle mademoiselle de 22 ans, bien des hommes sont d’accord de vous fournir l’argent, mais ce n’est évidemment jamais totalement « sans contrepartie ». Et là est donc le sujet de la torture mentale d’Else : doit-elle se vendre, se donner à un inconnu/un homme de plus de deux fois son âge, pour préserver l’honneur familial, ou laisser tomber son père, dont elle craint un suicide (tant le déshonneur de la prison est grand) tout en démantelant totalement ce qui reste de son cocon familial ?
Else passera donc l’intégralité de la nouvelle dans ce tiraillement malsain, entre son trop-plein de fierté et son envie d’être charitable, entre la crainte de la honte et l’honneur familial, et Schnitzler a du coup opté pour une narration plutôt pertinente, bien qu’un peu lourde par moments : le monologue intégral. Toutes les actions et dialogues qui se déroulent autour d’Else sont décrites de son point de vue, ce qui semble de prime abord plutôt indigeste, puisque confus (on est véritablement plongé dans les pensées contraires et ambigües de la jeune fille), mais se révèle plutôt intelligent par la suite. Une force autant qu’une faiblesse.
Mais ce qui différencie principalement Zweig de Schnitzler, c’est que ce dernier est moins lisse, peut-être plus réaliste dans son approche, et donc moins romantique. Et donc oui, Else a des rêves de jeune fille, elle croit en une certaine forme idéalisée d’amour, mais elle est loin d’être totalement puritaine ou du cliché de la jeune fille innocente confrontée aux basses réalités du monde. Elle a conscience du côté nauséabond de certaines de ses relations, sait ce que les hommes veulent d’elle et se plait parfois à les désirer elle-aussi. Elle pense tout et son contraire, et la nouvelle n’en est que plus haletante, intrigante, et forcément passionnante, son choix n'étant révélé que tardivement. Et ce malgré sa narration totalement décousue et l’extrême brièveté de l'ensemble. Un mal pour un bien. Comme le choix qui s'offre à elle.