Mailloux
7.3
Mailloux

livre de Hervé Bouchard (2002)

Évocation de l’enterrement d’un chien

Mailloux est écrit en québécois, ce qui en tant que tel ne gênera pas le lecteur français, une fois acquis que char et flot signifient respectivement voiture et gosse. En revanche, si on voit dans le québécois une langue distincte du français, alors il faut considérer le style de Mailloux comme une langue distincte du québécois. C’est ce style qui fait l’intérêt de cette chronique – sous-titrée Histoires de novembre et de juin – de l’enfance d’un « pissou » comme tant d’autres enfants.
Lire Mailloux, c’est donc accepter de ne pas tout comprendre du premier coup, accepter de se confronter à un style atypique, tantôt elliptique, tantôt répétitif, riche en néologismes, d’une prose tellement heurtée qu’elle en devient poétique. « Et la musique, oué. La musique. » (p. 24 de l’édition du Nouvel Attila), c’est ça surtout qui compte. Des listes, aussi, beaucoup de listes : une « Série de noyades » (p. 25), une « Autre série » de morts (p. 33), une « Autre série de noyades » (p. 43-44), une liste de personnages prénommés Jacques (p. 123-125) et un « Finale » intitulé « Chant des “Quand j’aurai” » (p. 147-151).
On trouve tout de même des repères : l’évocation de l’enterrement d’un chien (« Puis merde pelle oubliée quelque part dans la procédure, retourner à la pelle tout le cortège puis reprise jusqu’à deux cents mètres au moins avant l’endroit où Mailloux Jacques avait dit là et dire enfin là, creuser donc là, cercueil au fond du trou, cailloux, terre, tap tap. Tape tape la terre, tape tape la boue. Les flots regardés qui dansent et qui chantent autour du sépulcre. Tape tape la boue, tape tape la boue, tape la boue, tape la boue, tape la boue, tape la boue, tape la boue. », p. 24), une réflexions sur l’écriture (« Noyade à la noix d’être à la fois Mailloux Jacques et je moi dans les phrases d’écriture chaque passage de la boue qui est. », p. 43-44) ou un plaidoyer d’un frère pour son frère (« Mère Mailloux, cesse tes cris, ils sont inutiles. […] Tes pensées les plus affreuses, Mère Mailoux, traversent l’espace et tombent en phrases dans l’esprit de tous ceux qui dans le monde savent entendre le grincement matinal et criard de ta corde à linge alors que sont suspendus les draps maculés de ton fils pissou. […] Tu as raison de pleurer. Je comprends que tu puisses sentir ton corps envahi par l’épuisement alors que tu sais maintenant toute la vanité de ta lutte. Mais tu dois savoir aussi que la malédiction qui pèse sur ton fils pissou n’est ni la tienne ni celle de ton mari ni celle de ton fils de sept ni celle de sa sœur de six. Mailloux douze est celui qui doit la subir seul désormais. Laisse-le partir. Qu’il prépare son bagage. », p. 67)
Bon, n’allons pas jusqu’à dire que Mailloux est séduisant… Bien foutu ou mal gaulé. Glacial comme une tempête de neige sur Chicoutimi ou chaud comme la braise. Profondément cacophonique ou mélodieux. Ennuyeux ou caméléon. Suave comme du sirop d’érable ou poisseux comme du sirop d’érable. C’est selon. Mais intéressant, ouais.
« C’est ainsi qu’elles veulent être dites, les choses. » (p. 105).

Alcofribas
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le 16 avr. 2017

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