La stabilité politique de l’Espagne ? Une démocratie à tendance monarchiste que l’actualité nous montre relativement fragile, avec les velléités d’indépendance en Catalogne. Et puis, si la dictature a pris fin avec la mort de Franco (1975), ses idées restent véhiculées par une certaine frange de la population. Dans ce roman, le journaliste français Marc Fernandez imagine qu’une nouvelle droite héritière du franquisme reprend le pouvoir. Il fait d’un journaliste radio, Diego Martin, son personnage central. Il présente Diego comme une sorte de franc-tireur qui soulève tous les lièvres qu’il peut dans une émission maintenue à une heure tardive et qui réalise néanmoins une belle audience en affirmant son indépendance, envers et contre tout. L’émission servirait en quelque sorte de caution au pouvoir pour prétendre que non, la presse n’est pas muselée, alors que tous les postes clé ont été changés.
Le soir de l’arrivée au pouvoir de cette nouvelle droite, un conseiller municipal de 36 ans est assassiné froidement en pleine rue, d’une balle dans la tête. Cet homme était pressenti pour un poste de ministre. Dans les semaines qui suivent, d’autres personnes sont assassinées dans des conditions plus ou moins similaires, par la même personne.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la trame policière n’intéresse pas vraiment l’auteur, puisqu’il fait du lecteur un témoin des meurtres en livrant le monologue intérieur de la personne qui devrait faire l’objet d’une enquête, ne faisant rapidement plus mystère de son identité. On réalise que l’auteur raisonne et écrit en journaliste. Le roman policier n’est sans doute pas dans sa nature profonde (question de goût ou d’aptitude).
Ce qui intéresse vraiment Marc Fernandez, c’est un relent très malsain du passé franquiste. Un ensemble de faits méconnus qu’il utilise pour éviter que tout cela tombe définitivement dans les oubliettes de l’Histoire. Mais, si certaines choses ne peuvent jamais être réparées, elles laissent malgré tout des traces dans les mémoires et peuvent entrainer des conséquences dramatiques, même après plusieurs décennies. Cela peut être une question de circonstances, d’opportunité, etc.
Sous le régime franquiste, un réseau organisé aurait enlevé des bébés à leurs familles républicaines (qui ne comprendraient ou ne poseraient pas de question), juste après la naissance en leur faisant croire qu’ils étaient mort-nés, pour les placer contre espèces sonnantes et trébuchantes, dans des familles franquistes. Bien entendu, dans ces familles les enfants en question auraient été élevés (conditionnés), selon les valeurs du milieu. Une action qui aurait spolié des familles, affaibli l’opposition tout en apportant des forces vives au franquisme.
Rien dans les 281 pages du livre ne permet de savoir si les faits à mettre au passif du réseau en question font un lien avec des faits historiques ou non. Il faut creuser pour en savoir plus : un procès en attente doit évoquer une affaire ressemblant bigrement à celle présentée dans le livre. Peut-être Marc Fernandez a-t-il préféré le biais d’une fiction, parce qu’aucun jugement n’a encore été rendu. Mais on peut lui reprocher d’exploiter une histoire dont la cruauté ne peut que le placer du bon côté, en mettant les lecteurs dans sa poche. Malheureusement, sa façon de raconter et son style, avec de nombreux passages en langage parlé, ne m’ont jamais convaincu. Certes, le livre se lit assez facilement et rapidement, mais la trame déçoit. De plus, dans sa position privilégiée de narrateur, Marc Fernandez fait de l’anti-franquisme un principe de base qui sollicite l’adhésion inconditionnelle, y compris certaines méthodes discutables. Ses jugements vont avec un vocabulaire et des tournures de phrases qui mettent le lecteur dans une position inconfortable, car il écrit (avec des expressions haineuses), en personne engagée qui demande au lecteur de lire en ce sens.
Marc Fernandez choisit la solution de facilité en faisant de son personnage principal un journaliste comme lui. Par prudence, il place l’action du roman dans un futur à tendance dystopique. Si cela lui permet de dire ce qu’il pense des risques de dérive politique toujours existants (voir le discours des indépendantistes catalans sur la démocratie actuelle), on n’y croit que très moyennement parce qu’il ne fait que survoler les conditions d’existence dans cette hypothétique société (à certains détails, on le sent emporté dans son récit, négligeant complètement l’aspect dystopique de la question, qui aurait pu donner une réelle force au livre).
Sans dévoiler la fin, celle-ci m’a laissé un goût bizarre. Si Marc Fernandez donne des informations sur des faits datant de quelques lustres, laissant au lecteur le soin de s’informer pour en savoir plus et se faire son opinion, tout en se gardant de porter lui-même un jugement, son état d’esprit de journaliste décidé à convaincre perce encore une fois avec le sort réservé à son personnage qui fait couler le sang.
Au bénéfice du doute, je considère que Marc Fernandez se montre indigné par une organisation dont les méfaits sont en réalité irréparables. Avec certaines maladresses mais la volonté de rappeler certains faits, il fait son possible pour que des actes ignominieux ne tombent pas dans l’oubli.
PS : Si le titre du roman (signifiant « Mauvaise vie ») est emprunté au groupe Mano Negra, celui de cette critique est emprunté à Jacques Higelin.