En 1925, Pierre Louÿs, aveugle ou presque, drogué, vieillard à 55 ans, meurt après quelques années abominables passées en compagnie de sa seconde épouse qui le trompait avec son secrétaire et du pillage systématique de sa bibliothèque effectué par les deux larrons. De la plus belle collection privée européenne de l'époque, il ne reste déjà que des miettes. Dans des moments de rare lucidité, avec un fusain et un bout de papier, Louÿs décrira son sentiment dans les magnifiques "Derniers vers" que toute anthologie respectable se doit de posséder.
Enfin débarrassés du Maître, les pourceaux cherchent de nouvelles façons de trouver de l'argent frais, et pour cela, ils vendent au tout venant la montagne de manuscrits inédits emmagasinés depuis son plus jeune âge.
Car, si Louÿs répugnait à publier, il ne cessa jamais d'écrire. Projets de romans, vers, études, recherches sur la science littéraire, enquêtes sur des énigmes bibliophiles, et bien sûr, son péché mignon, oeuvres libertines de toutes sortes. (Sans oublier sur le sujet son immense apport à l'art photographique).
Cette oeuvre gigantesque se perdit en grande partie, fut détruite parfois, mais un ensemble conséquent parvint entre les mains d'un libraire qui se chargea de refiler à quelques éditeurs clandestins les oeuvres les plus achevées. Ainsi, le "Manuel de civilité pour les petites filles à l'usage des maison d'éducation" et "Trois Filles de leur mère" sortiront dès l'année suivante, pour le plus grand bonheur des amateurs.
Hélas, le plus gros de l'oeuvre de toute une vie reste aujourd'hui introuvable. Le "Manuel de Gomorrhe" est une des traces inachevées témoignant du travail gigantesque de ce génial cerveau.
Le Manuel est un livre encyclopédique en projet qui se veut l'analyse la plus complète possible de la socratisation féminine.
Le sommaire est des plus édifiant. Après le chapitre Anatomie, physiologie était prévue une très instructive partie historique, de l'Orient Antique à nos jours qui ne sera jamais écrite. La troisième partie, ethnographique, promettait elle aussi beaucoup, las, seules quelques sous-parties de la partie parisienne furent ébauchées, mais qui n'a pas rêvé un jour de ce que Louÿs aurait pu faire d'un tel projet !
Heureusement pour le lecteur, les deux parties suivantes sont bien moins lacunaires : Portraits de femmes sodomites et surtout, les causes déterminantes de la sodomie féminine permettront à chacun de se reconnaître ici où là, voire de glaner quelques précieuses informations. Par exemple, cent causes sont ici répertoriées au sein de sept mobiles principaux. Essayez donc de retrouver les cent, là, comme ça, sans tricher... Vous voyez bien que vous pouvez encore apprendre quelque chose !
Les derniers chapitres, concernant les âges et quelques conseils de conclusions ne furent pas entamés. Il reste tout de même de nombreuses notes écrites par l'auteurs sur divers chapitres, comme Les Treize moyens de séduction, par exemple, dont chacun saura faire le meilleur profit.
L'ensemble de cinquante pages est un assemblage de plan, de bouts de textes (toujours merveilleusement écrits), de notes, de titres et autres choses improbables qui se lisent néanmoins comme un roman, sauf qu'en plus, on apprend des trucs. Voici un exemple parmi des centaines : "Le procédé le plus parfait semble être de coiffer le gland avec une peau de pêche retournée, qui favorise le passage du membre dans le sphincter sans laisser après lui aux parois l'enduit trop glissant de la vaseline". Il suffisait d'y penser...
Une partie d'une quinzaine de pages suit souvent ce Manuel. Plus sobrement appelée "Enculées", il s'agit tout simplement d'une liste de description de personnes s'étant essayées avec lui à cette pratique. Un prénom, un lieu, parfois une date, une demi-page bien troussée, et nous passons à la suivante, comme dans un journal intime un peu original.
A noter que dans l'édition la plus courante, celle de La Musardine, l'ensemble est suivi par "L'île aux dames", sorte de pendant pornographique des "Aventures du Roi Pausole", toute en utopie gaillarde et chantonnante, hélas inachevée elle aussi. Mais bon, vu que vous l'avez tous dans l'édition précédente, l'île, j'en parlerai plus longuement un autre jour, sous la fiche idoine.