Stefan Zweig n’est pas seulement un romancier de génie. Il est également un biographe de talent. Peut-être même l’un des plus talentueux du XXe siècle. Un homme de lettre éblouissant, captivant et doué d’une plume sans nulle autre pareille.
Marie-Antoinette, une compatriote de l’auteur, est née Habsbourg. Autrichienne, elle est la fille de Marie-Thérèse, impératrice autocrate de la trempe d’un Louis XIV. Dans une version moins belliqueuse toutefois. Moins expansionniste, Marie-Thérèse aimerait consolider ses vastes frontières et sa position déjà importante en Europe. Aussi a-t-elle recourt au moyen dont ont classiquement usé tous les dirigeants de tous les pays et de toutes les époques : l’alliance par le mariage. Pas le sien, mais celui de sa fille. Elle aimerait marier Marie-Antoinette au Dauphin de France. Par sa puissance militaire, un rapprochement des Habsbourg et des Bourbon assurerait une grande stabilité dans toute l’Europe.
Louis XV se fait un peu prier. Donner son petit-fils aurait bien évidemment des avantages indéniables mais il ne peut répondre à une requête avec empressement, fut-elle de l’impératrice d’Autriche. Mais le mariage est finalement décidé. Dès l’accord, l’argent se met à couler à flot. Les royaume et empire ne sont pas immensément riches, mais on dépense sans compter pour impressionner l’autre. C’est à celui qui aura le plus beau carrosse, les atours les plus riches.
L’arrivée de la future reine de France à Strasbourg est une fête magnifique. Les français accueillent la dauphine par une liesse de plusieurs jours. On s’attarderait volontiers en Alsace, mais le roi attend à Paris. Et on ne fait pas attendre un roi. Marie-Antoinette arrive donc à Paris, embrasse le grand-père sur les deux joues et épouse le petit-fils. Les deux jeunes gens qui n’ont rien de tourtereaux n’ont que quinze ans. Le futur Louis XVI, malgré la grande beauté de sa princesse ne se montre pas très empressé auprès de sa femme. Ce qui l’intéresse réellement, c’est le plaisir de la table et la chasse, sa grande passion. De plus, le futur roi a un problème de nature à rendre la nuit de noce fort calme : il ne put consommer le mariage. Nuit après nuit, semaine après semaine, mois après mois et même année après année, le roi tentera de remplir son devoir. En vain, emplissant sa femme de regrets et de frustrations bien compréhensibles.
La dauphine chercha donc d’autres plaisirs, chercha à calmer son sang, ses nerfs dans les plus folles frivolités. Elle dépense plus que de raison. Et les lettres de reproches qui lui viennent régulièrement d’Autriche et lui conseillant vivement de tenir son rang n’y changèrent rien.
Stefan Zweig, qui a tant écrit sur la folie née de la frustration, de l’envie, de l’addiction, est à Versailles chez lui. C’est en fin psychologue qu’il décrit les tourments infinis que supporte la jeune femme. A ses côtés, le lecteur traverse les salons fastueux de la cour, s’enivre au Trianon, tremble des sommes colossales que dépense la reine. On attend le retour de bâton qu’on sait tous terrible.
L’écrivain nous accompagne dans les événements de 1789. Et tout au long de ceux des années suivantes qui virent la chute de la royauté en France. Les jeunes années de la République, la Terreur, la guillotine. C’est toute la Révolution française que le lecteur révise de l’intérieur, comme s’il y assistait. Beaucoup plus vivante qu’un froid cours d’Histoire, la prose de Stefan Zweig fait revivre la reine. Superbe, passionnante et fort instructive, la biographie de Marie-Antoinette devrait être lue par toutes les générations d’écoliers qui usent leur fond de pantalon sur les bancs de l’école à tenter d’apprendre l’imbroglio politique que fut cet épisode, l’un des plus sombres de l’Histoire de France.