Comme tous les hommes qui ont côtoyé Marie Stuart, cette reine maudite, Stefan Zweig s'abandonne à son tour à la fascination qu'elle exerça toute sa courte existence sur la gente masculine. Le caractère passionné de Marie Stuart en fait naturellement l'égérie de tous ceux qui "cherchent la Femme" derrière le mythique voile de mystère censé l'envelopper et la rendre fatale. Zweig peine et échoue à dissimuler la tendresse que lui inspire son sujet comme en témoigne la seconde partie du récit qui débute avec l'évasion de la reine prisonnière qui se réfugie en Angleterre, dans la gueule du loup. Zweig la dépeint sous les traits d'une biche aux abois qui feraient un peu rapidement oublier que cette souveraine de vingt-quatre ans est une autre Lady MacBeth aux mains rougies par le sang du crime. Cette complaisance de l'auteur pour Marie Stuart m'a de plus en plus déplu au fil de ma lecture car elle trahit trop clairement que le biographe a fait place au romancier.


Parce qu'écrite par un romancier, cette biographie se lit bien et avec plaisir, par là elle comblera tout lecteur en recherche d'une approche romanesque de l'Histoire. A contrario, pour le lecteur qui recherche moins l'humanité que la réalité des faits, les épanchements de l'auteur finiront par lasser, aussi bien écrits soient-ils. Quant à Marie Stuart et à son étonnant, à son dramatique destin, comment ne pas être profondément touché par cette destinée, vraiment hors du commun, même pour un prince ? Désignée reine une semaine après sa venue au monde, elle lutta toute sa vie contre sa parente et voisine Elisabeth, mortelle ennemie qu'elle ne rencontra même jamais ; elle contestera la couronne d'Ecosse à son propre fils Jacques VI qu'elle quitta nourrisson et qui ne conserva aucun souvenir de sa mère ; et elle aima passionnément sans jamais l'être réellement en retour. Quelle vacuité quand on y songe que cette existence pourtant si débordante d'aventures, de chevauchées, de maris, de sang, de révoltes, de faits d'armes, de prisons et d'espoirs. Et à la fin, le cou sur le billot, comme un poulet. On a envie de dire "Tout ça pour quoi" ?


Bonne question. Bien qu'instructive, cette biographie ne m'aura pas expliqué le point qui m'intéressait le plus : pourquoi tout ce foin pour l'Ecosse ? Est-ce que vous avez vu ce que représentait l'Ecosse à la Renaissance ? Un confetti de brume et d'humidité, habité par des nobles aux moeurs rustres et des pâtres miséreux. Certes, pour y avoir voyagé, c'est une terre fascinante mais ce ne n'est pas pour des paysages à couper le souffle et un tonneau de vieux whisky qu'on s'entre-déchirait alors. Or Zweig présente l'Ecosse comme THE enjeu politique de l'Europe de Charles Quint. Il n'y va pas avec le dos de la cuillère tout en oubliant d'insister sur le fait crucial que derrière le trône d'Ecosse, c'est le trône d'Angleterre qui est l'objet de convoitise : Elisabeth Ier étant une souveraine à la légitimité fragile et, Virgin Queen, n'ayant pas de descendant, c'est aux Stuart que doit revenir sa couronne à l'issue de son règne. Cet aspect politique est survolé à mon sens, dommage que Zweig ait été un peu trop obnubilé par la femme pour bien décrire la reine que fut Marie Stuart.


Enfin - et là je risque à mon tour de poser le cou sur le billot des légitimes admirateurs de l'auteur - suis-je vraiment la seule à trouver que Zweig est par trop sexiste et misogyne dans son propos ? Je sais qu'on est en 1935 mais quand même, 14-18 est passée par là et les femmes ont commencé à s'émanciper. Quelques extraits pour illustrer mon propos :
"Malgré leur envergure extraordinaire, ces deux femmes restent toujours des femmes, elles ne peuvent pas surmonter les faiblesses de leur sexe ; la haine qu'elles se portent, au lieu d'être franche, est petite et perfide. Placés dans la même situation, deux hommes, deux rois s'expliqueraient nettement, une fois pour toutes et, dans l'impossibilité de s'entendre, se prendraient aussitôt à la gorge ; au contraire la lutte entre Marie Stuart et Élisabeth, c'est une bataille de chattes où l'on rampe et s'épie en rentrant ses griffes, un jeu plein de traîtrise et d'astuce."


"Tout à coup la voici entrée en contact avec un homme sur qui son trop-plein de passion va pouvoir se déverser. Sans penser, sans réfléchir, elle voit en lui, comme font souvent les femmes, l'être unique, celui dont elles avaient rêvé. Sûrement, il serait plus sage d'attendre, de mettre sa valeur à l'épreuve. Mais demander de la logique à une jeune femme amoureuse serait vouloir l'impossible."


"Il n'est pas d'homme que la femme aime plus passionnément que celui qu'elle craint et admire en même temps, avec qui un certain sentiment de peur et de danger accroît le plaisir amoureux dans des proportions mystérieuses."


Et le pompon revient à la description du viol dont Marie Stuart fut victime de la part de Bothwell, son futur troisième mari, également assassin du second, Darnley :
"Il passe brutalement à l'attaque, empoigne la femme, qui se trouve depuis longtemps dans un état d'excitation et d'énervement extrêmes et dont les sens ont été aiguillonnés par sa folle inclination pour Darnley sans être vraiment apaisés : "Il se fait de son corps possesseur", il la prend par surprise ou la viole (qui peut mesurer la différence dans de tels instants où la volonté et la résistance se fondent si voluptueusement ?). [...] Mais l'acte brutal de Bothwell – ses sens enivrés en sont encore tout étourdis – l'a mise brusquement en face d'un homme véritable, d'un homme qui a réduit à bien peu de choses ses forces féminines, sa pudeur, sa fierté, son assurance, qui lui a révélé avec volupté le monde volcanique qu'elle portait en elle et dont elle ignorait jusqu'alors l'existence. Avant même de s'être rendu compte du danger, avant même d'avoir tenté une résistance, elle est déjà vaincue, la dure enveloppe qui la protégeait est brisée, et le feu qui couvait en elle l'envahit et la dévore. Il est probable que le premier sentiment qu'elle éprouve devant cette attaque est la colère, l'indignation, une haine mortelle pour l'homme qui vient d'avoir raison de sa fierté féminine. Mais on sait qu'en vertu d'un des plus profonds secrets de la nature, toujours les extrêmes se touchent. de même que la peau est incapable de distinguer entre l'extrême froid et l'extrême chaud, au point que le froid peut brûler comme si c'était du feu, de même il arrive fréquemment que les sentiments les plus opposés se confondent avec rapidité. En l'espace d'un instant la haine peut se transformer dans l'âme d'une femme en amour, et son orgueil offensé en aveugle soumission, son corps peut vouloir follement ce qu'une seconde encore auparavant il avait refusé avec la dernière énergie."


Bref, je ne prête pas à Stefan Zweig une grande maîtrise de la psychologie féminine, contrairement à lui. Sa plume est certes très belle, l'intention y est mais je reste assez mitigée quant au résultat.

Gwen21
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le 24 août 2017

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