Martin Éden est une charge féroce contre la bourgeoisie, ses convenances, ses non-dits, son hypocrisie, son mépris de classe. C’est également un cri de révolte contre les injustices, l’immobilisme de la société et le consentement à la servitude des classes opprimées.
Mais là où Jack London opte pour un socialisme solidaire, son quasi-alter ego de papier Martin Éden fait le choix d’un individualisme nietzschéen... tout en contradiction. Tantôt fougueux orateur vantant la volonté de puissance et la victoire du fort sur le faible, on le retrouve plus tard en bon samaritain venant en aide aux plus démunis. Ayant appris trop vite -mais trop tard-, il vogue de désillusions en désillusions, méprisant l’autosatisfaction et la médiocrité intellectuelle de la classe bourgeoise et ne s’expliquant pas la résignation et le manque d’ambition des classes populaires.
Face à une société sclérosée, à des individus trop intéressés pour être intéressants ou trop résignés pour se battre, Martin Éden semble jeter les armes. Bien qu’il soit une victime directe de la bêtise bourgeoise, qu’il sue sang et eau comme marin ou blanchisseur, qu’il prenne en pleine face l’exploitation des enfants et des vieillards par des capitalistes sans vergogne, il refuse la main tendue de l’idéologie socialiste. Au diable la solidarité et les bons sentiments, ça sera le combat individualiste qui guidera les choix de ce héros fougueux et ambitieux, sombrant peu à peu dans un nihilisme désabusé.
Qu’on soit résigné ou révolté, cynique ou idéaliste, fougueux ou lassé par ce monde, chacun d’entre-nous devrait se reconnaît dans les interrogations existentielles, les combats et les abandons de Martin Éden.
Un livre magistral, qui nous interroge sur la condition humaine, l’ambivalence des conventions sociales, l’éternel combat entre notre compassion pour nos semblables et notre incompréhension face à leurs agissements. Ne reste au bout du compte que notre terrible et inéluctable solitude.