Médée
7.7
Médée

livre de Euripide (-431)

C'est Nietzsche qui la lui impute, en tout cas. Et en lisant Médée, on comprend pourquoi : certes, c'est une tragédie, dans laquelle il y a un choeur, des annonces tragiques, une idée de transcendance fatale, de la crainte et de la pitié... Bref, ce qui fait une tragédie.
Mais il n'y a pas que ça : il y a, en plus de l'action, des analyses psychologiques, des analyses qui ont l'air assez froides et qui brisent un peu, je trouve, le rythme de la tragédie pour lui donner presque un côté comique. C'est comme si, imaginez, je me lamentais parce que j'allais mourir d'une grave maladie, et que soudain je m'interrompais en disant "Tiens, mais où sont les pépitos ? J'étais sûre de les avoir laissés sur la table !" pour reprendre comme si de rien n'était mes lamentations.
Ce n'est donc pas pour rien qu'Euripide est le dernier poète tragique. Moins de célébration des héros légendaires et en contrepartie, une sorte de dépouillement assez austère qui empêche d'y croire complètement.

Il y a pourtant de grandes qualités dans Médée : tout d'abord, cette volonté descriptive, explicative, est très novatrice pour l'époque et fait d'Euripide un poète encore très lisible aujourd'hui. De plus, Euripide est le premier à utiliser la matière de la légende de Médée pour écrire une tragédie, qui inspirera de nombreux écrivains (Sénèque, Corneille, Anouilh... notamment).

L'histoire est du reste extrêmement intéressante : Médée, femme de Jason, qu'elle a aidé à s'emparer de la Toison d'or par amour grâce à ses pouvoirs de magicienne, est répudiée par celui-ci pour une autre femme, la fille de Créon roi de Corinthe, qui se trouve être une princesse alors que Médée, qui s'est exilée de sa patrie et a même tué son frère dans sa démence amoureuse, n'a évidemment ni ce statut ni ces richesses (ouf, pardon pour la phrase de trois kilomètres). Médée crie donc vengeance : elle décide de tuer la pauvre petite princesse, Jason, Créon, et même ses enfants (vous inquiétez pas je vous spoile pas, on l'apprend dès la première page), pour des raisons bien compliquées que je vous laisse découvrir. Médée n'est pas simplement une folle qui déraille, Médée est une femme désespérée, égoïste, dangereuse, éperdue - très paradoxale, puisqu'à aucun moment elle ne veut se donner la mort, puisqu'elle tient assez à la vie pour tuer tous ceux qui l'entourent et qu'elle aime et se réfugier par la suite chez Egée.
Le personnage est donc fort, la légende fondatrice. Un interdit qui a traversé les siècles et qui peut encore aujourd'hui interroger, frapper le lecteur. Médée est un type, Médée est puissance terrifiante.

Bref, le personnage de Médée donne à la tragédie éponyme un sel inaltérable. Et si je trouve que la tragédie d'Euripide n'est pas la meilleure tragédie qui soit (il faudrait se demander pourquoi concrètement ses tragédies sonnent le glas de la tragédie), elle a le mérite de faire considérablement avancer la littérature et d'être intéressante pour ses caractères. Pourquoi pas, donc.
Eggdoll
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Théâtre, tout ce que j'ai lu. J'en ai vu, mais bon, je préfère le lire.

Créée

le 19 mars 2012

Critique lue 1.2K fois

10 j'aime

1 commentaire

Eggdoll

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

10
1

D'autres avis sur Médée

Médée
JeanG55
8

Médée - Euripide

Fascinante tragédie d'Euripide écrite en 431 BC.Cette critique est à mettre en perspective avec la critique du film "Médée" de Pasolini publiée ce jour.La pièce raconte la dernière partie de...

le 29 mai 2023

6 j'aime

6

Médée
Alcofribas
7

Tragédie familiale

Voilà donc la tragédie qui fait de Médée l’Infanticide. Créon lui fait à peine obstacle, la nourrice et le gouverneur sont évidemment très domestiques, et un Jason enflé traîne sa misogynie basse du...

le 9 févr. 2020

3 j'aime

Médée
ClmentineC
7

Critique de Médée par ClémentineC

Je ne comprends pas comment les Grecs pouvaient avoir des idées telle que celle-ci! Médée est une femme trahie qui, pour se venger de son époux, tue sa nouvelle femme, le père de celle-ci et ses...

le 26 mars 2014

3 j'aime

Du même critique

L'Insoutenable Légèreté de l'être
Eggdoll
10

Apologie de Kundera

On a reproché ici même à Kundera de se complaire dans la méta-textualité, de débiter des truismes à la pelle, de faire de la philosophie de comptoir, de ne pas savoir se situer entre littérature et...

le 11 mars 2013

156 j'aime

10

Salò ou les 120 journées de Sodome
Eggdoll
8

Au-delà de la dénonciation : un film à prendre pour ce qu'il est.

Les critiques que j'ai pu lire de Salo présentent surtout le film comme une dénonciation du fascisme, une transposition de Sade brillante, dans un contexte inattendu. Evidemment il y a de ça. Mais ce...

le 6 mai 2012

71 j'aime

7

Les Jeunes Filles
Eggdoll
9

Un livre haïssable

Et je m'étonne que cela ait été si peu souligné. Haïssable, détestable, affreux. Allons, c'est facile à voir. C'est flagrant. Ça m'a crevé les yeux et le cœur. Montherlant est un (pardonnez-moi le...

le 22 mars 2017

50 j'aime

5