Ayant apprécié « Le roi n’a pas sommeil » j’ai immédiatement eu envie de découvrir le premier roman de Cécile Coulon récemment édité en collection de poche. Bien m’en a pris. En voilà une qui a tout pour marquer les esprits. Un roman court (une centaine de pages) et un style qui accroche d’emblée l’attention. L’auteur(e) a du caractère et une capacité à faire sentir beaucoup de choses avec concision. Il est également évident qu’elle n’écrit pas par hasard. La fin du livre présente la bande originale ( !) du livre. Original et éloquent, avec les Beach Boys, Gene Vincent, Eddie Cochran, Alice Cooper, Leonard Cohen, Chuck Berry, les Rolling Stones, Paul Simon, David Bowie, Pink Floyd et The Velvet Underground notamment !

Tout cela situe en partie le roman, car si tout se passe en Amérique, on sent que c’est une sorte de mélange entre la culture américaine et les probables souvenirs des années collège et lycée de Cécile Coulon, qui est originaire de Clermont-Ferrand.

Malgré la concision, Cécile Coulon réussit le tour de force de décrire une famille sur deux générations, celle des parents et celle de leur fille Lua. On comprend progressivement que c’est la fille qui parle, mais on peut hésiter, en particulier parce qu’elle nomme ses parents par leurs prénoms. Le parallèle entre la mère et la fille est évident. Toutes deux sont décrites à une période où elles ont à la fois la jeunesse, l’envie d’indépendance et une vision du monde très personnelle. On sent que, d’une certaine façon le monde leur appartient, mais qu’elles réalisent que dans ce monde où tout devrait être possible, il va y avoir de telles contraintes que parmi ces possibles, tout ne sera pas réalisable. Pour l’une comme pour l’autre, c’est quelque chose de difficile à avaler. Elles ont un regard très particulier sur le monde, presque détaché et dur, mais en même temps avec une incroyable avidité de sensations. Et Cécile Coulon a une formidable capacité à accumuler des détails justes qui nourrissent son intrigue quand d’autres rempliraient des pages et des pages de péripéties ou bavardages ne faisant qu’occuper le lecteur. Ici le lecteur est constamment à l’affut car chaque phrase recèle son lot d’informations capitales.

A 22 ans, la (future) mère quitte sa ville pour vivre sa vie à San Francisco où elle est très contente d’un job de serveuse qui lui permet à la fois de se sentir à sa place (elle est à l’écoute de tous, en particuliers les jeunes lycéens) et de goûter aux charmes d’une ville où l’anonymat lui vaut la liberté, probablement le bien qui lui tient le plus à cœur. Mais elle devra rentrer chez elle pour raison familiale. Une génération plus tard, alors qu’elle est mariée à un Suédois, sa fille Lua est confrontée aux dures réalités de la vie. Pour Lua, plusieurs rencontres sont capitales, dont l’une avec un de ses profs et l’autre avec un garçon de son âge avec qui elle partage tout. Malheureusement pour elle, ces deux personnes vivent des situations difficiles et, contre son gré, Lua va se retrouver bien isolée.

De ce roman, je pourrais quasiment choisir un extrait au hasard pour faire comprendre mon enthousiasme. Le plus frappant illustre l’état d’esprit de Lua :

« Alors Dieu, ou Jésus, je vous ai toujours confondus de toute façon, prends tes cliques et tes claques, retourne là d’où tu viens, enlève moi cette couronne à la con et trouve-toi des fringues propres. Cherche un taf, un vrai, fais-toi à manger le soir en rentrant, regarde la télé ou fais des mots croisés, appelle tes potes de la Cène et organise un barbecue avec merguez et sauce piquante, et surtout, ne me dis plus ce qui est bien ou mal, n’essaie pas de me montrer le chemin, parce que vu tout ce que tu as fait dans ta longue vie d’Eternel, il n’y a pas de quoi être fier. Vraiment pas. »
Electron
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le 11 mars 2013

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Electron

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