Fable moderne
Il est intéressant de voir le côté "fable" de cette oeuvre,son côté formateur,ouvrant à la discussion,divertissant....mais de l'ensemble ressort ,quand même, une impression de longueur et de...
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le 21 nov. 2015
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A Paris, il existe un Conseil des animaux qui maintient la mince coexistence entre l’animal et l’Homme. Mais des lions se sont échappés, sèment la terreur dans la ville lumière, et menacent cette paix fragile.
Fable noire, la Mélancolie des Corbeaux évoque de nombreux sujets dans cette vision particulière de Paris du point de vue des animaux. Au rythme d’une enquête menée par un corbeau cynique, le roman de Sébastien Rutés élabore une satire de la société humaine, mais aussi animale. Qu’il est agréable de respirer le parfum de la fable en s’abandonnant volontiers à l’idée que les animaux organisent des réunions et régissent des lois dans le but de pérenniser une paix fragile. L’auteur parvient à créer un autre monde dans le nôtre, celui des animaux, avec son mode de vie et ses problématiques.
L’Homme s’est affranchi de la plupart des lois de la Nature qui régissent pourtant encore la vie des animaux. Dans cette contre-société animale, chaque bête recherche et prend instinctivement sa place dans la chaîne alimentaire. L’animal contrairement à l’Homme n’a pas oublié cela. Le roman déploie cet aspect permanent entre la proie et le prédateur, jetant également un regard lucide sur le rapport des animaux envers l’Homme. Pour autant, si l’animalité s’oppose à l’humanité dans de nombreuses circonstances, il émane également avec la Mélancolie des Corbeaux une humanisation de la faune de Paris. Et l’on assiste alors à une présentation de problématiques très humaines : la politique, la discrimination, l’individualisme, l’assistanat, ou encore l’écologie. Au Parc Montsouris, Karka le corbeau freux traine avec lui les suspicions de sa race et survit en exil. Telle la répartition d’un territoire de gangs, les chats bénéficient des cimetières, les rats des égouts, tandis que les chiens sont méprisés et rejetés à cause de leur loyauté sans faille envers l’Homme. Enfin, le Conseil des Animaux agit comme notre propre Assemblée Nationale, traitant moultes sujets et votant de nouvelles lois.
Cette investigation intérieure au sein de la société animale de Paris est permise à travers une enquête policière. Karka est un corbeau freux, affaibli par l’âge et meurtri par une blessure à l’aile, mais pourtant rejeté par la plupart des animaux. Le vieux corbeau n’inspire plus autant la crainte que dans sa jeunesse auprès de ses camarades volatiles, mais il n’a rien perdu de ses capacités déductives. Quand le Conseil se remémore subitement son existence à l’aube d’une grande menace, l’aide de Karka est rapidement sollicitée.
A l’image d’un détective blasé, Karka démontre un profond cynisme envers le monde qui l’entoure. Ainsi, la satire de la société humaine et animale se construit principalement auprès des divagations du corbeau entre deux temps où l’enquête progresse. En effet, ici les animaux bénéficient de la parole. Non pas pour les besoins du livre, mais naturellement intégré à l’intrigue comme une ignorance de notre part. L’enquête guide Karka à tous les niveaux de l’infrastructure des deux sociétés au point d’avoir l’opportunité d’y déceler les ressemblances et les différences. A mesure que l’enquête avance, la méditation de Karka en devient philosophique face à tous les éléments dont il est le témoin : la condition animale, l’instinct de survie, l’amour, la peine, la vie, la mort. A trop penser, l’animal se rapproche de l’Homme.
Avec sa Mélancolie des Corbeaux, Sébastien Rutés prouve qu’il est de la trempe de grands écrivains. Lors de la lecture, on se laisse agréablement guider par une véritable identité stylistique. La prose de l’auteur est caractérisée par une poésie délicate, une utilisation somptueuse de la langue française, et des idées de langage uniques.
Cet indéniable talent permet à l’auteur de remporter ce défi osé de mettre en scène des animaux au sein d’une intrigue policière. On se laisse bercer par un certain sérieux plutôt que par l’amusement face à l’absurde idée d’une société animale qui évolue au cœur de la capitale. Il s’agit également d’un réel travail pour humaniser tous les animaux, dans la parole mais aussi dans les pensées et les gestes. Karka le corbeau freux a une vision pessimiste de la vie, mais est également un observateur brillant et une sorte de penseur. Les chats incarnent d’une certaine façon la racaille, continuellement dans les mauvais coups. La tourterelle jouit d’une beauté ravageuse, tandis que son arrogance n’a d’égale que sa superficialité. Enfin, le vieux lion du zoo incarne un roi déchu qui s’accroche péniblement à sa gloire passée, s’enfermant dans une autre cage construite cette fois-ci avec les barreaux d’une nostalgie solide. En somme, l’auteur impressionne par la consistance de ses personnages qui possèdent pour la plupart tous une bonne raison d’être mélancolique.
Avec cette fable noire et contemporaine, Sébastien Rutés conçoit l’existence d’une société animale dans l’ombre de la société humaine. On vit ce roman sous le regard observateur d’un corbeau, témoin de tous les éléments qui opposent mais aussi rassemblent l’animalité et l’humanité.
Le genre animal est humanisé, projetant un regard lucide sur ses difficultés, ses faiblesses, et distillant des problématiques bien humaines. Politique, discrimination, assistanat, écologie, le parcours du Corbeau freux durant son enquête permet de traiter de nombreux sujets. Tel le grand penseur philosophe de l’espèce animale, ses réflexions profondes élaborent une satire de deux sociétés si différentes et similaires à la fois.
Ainsi vont les mentalités. Une couche de peinture sur les désespoirs épargne un ménage de fond aux bonnes consciences.
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Créée
le 15 sept. 2020
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