"Mélanges de sangs"
Roger Smith, 2009
[éd. le Livre de Poche Policier]


    Dès les premières pages, Roger Smith nous plonge dans le bain de l'action, mais son style d'écriture racoleur s'avère difficilement supportable. Nous sommes loin des auteurs qui, il y a près d'un siècle déjà, savaient démarrer leurs romans sur les chapeaux de roue - dans un rythme tout aussi nerveux et efficace - tout en soignant leur écriture. Et quand il se prend pour un romancier, c'est... hum... pour être gentil je vais dire que c'est "maladroit". 
Exemple page 48: "Son visage massacré était comme un brise-glace à la proue d'un navire: on s'écartait sur son passage." Il fait peur et glace le sang des gens qui le croisent: c'est comme un "brise-glace"... Sérieux? T'avais pas plus appropriée comme image? Moins sujette à confusion? Et puis le coup des "deux points" pour balancer une proposition simple, simpliste et simplifiée derrière... hum, hum!
Petit souci: le récit présente trois personnages masculins, tous trois tueurs de sang froid. Rien pour susciter l'empathie chez le lecteur, ou alors, des tentatives grossières: un ex-taulard prétendument sur la voie de la rédemption exprime toute sa sensibilité à son vieux chien [!]; un autre est un père de famille qui emmène son fils à la plage. On tourne donc les premières pages, impatient d'y trouver un intérêt. Un personnage féminin s'avère être une pute à crack utilisant les allocs de son bébé (qu'elle délaisse) pour se payer sa came; l'autre est une femme cherchant la force de ne plus être aveuglée par l'amour pour son mari afin de s'éviter les emmerdes qu'il apporte dans leur foyer.
Si, en terme de tragédie, cette dernière peut prétendre au rôle de protagoniste, Roger Smith l'écarte d'abord de l'action. Il articule l'intrigue autour des actes et interactions des antagonistes entre eux.
En conséquence directe, le suspense s'avère être à côté de la plaque. Lorsqu'un tueur doit passer un barrage de police avec deux cadavres dans le coffre, qu'il se fasse attraper ou non importe peu ici. Dans les deux cas rien n'empêche sa femme de partir avec leur enfant. Mais l'auteur, lui, cherche à nous faire part des inquiétudes du personnage au volant à mesure qu'approche la confrontation avec les agents de police. Alors ce n'est pas la tension de la scène qui va crescendo, mais le grotesque d'une narration qui veut forcer la main au lecteur.
Mais il y a pire: le tueur s'en sort grâce à la manifestation d'ivresse du conducteur juste derrière lui, pile à ce moment-là! J'ignorais complètement qu'on avait encore le droit d'user de deus-ex-machina aussi grossiers que ça à notre époque!
Quand ça lui chante, l'auteur nous fait un petit résumé du passé des protagonistes. Pris par le vice des jeux et des paris, M. Burn s'est trouvé endetté. Son créancier lui offre une chance d'effacer ses dettes, en faisant quelque chose pour lui. "Et ça s'était terminé avec un flic mort dans la neige du Milwaukee, et Burn et sa famille en cavale." (p.75) Sans autre explication, au paragraphe suivant, on apprend que pouf! l'endetté M.Burn est devenu plus que riche.
Parce qu'il faut bien se figurer qu'il s'agissait, en fait, d'un résumé DANS un résumé. Hé oui! On apprend plus tard (p.90) que le contrat du créancier n'était point d'assassiner un flic (pour des raisons qui le regardent), mais un casse, qui, pour le coup, a mal tourné. Maladroitement, l'auteur laisse des simili zones d'ombres pour susciter des interrogations chez le lecteur. Un procédé qui, en plus d'être mal-employé a pour seul objectif de forcer la main au lecteur [encore!] afin qu'il s'intéresse un minimum à ses personnages.
La catastrophe - mais je m'y attendais - survient page 86. Quand l'auteur veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je précise au préalable qu'il existe un risque lorsqu'on décide, pour raconter son histoire, d'adopter le point de vue du narrateur à la troisième personne omniscient: en l'occurence, faire partager au lecteur ce qui passe par la tête d'un personnage. En règle générale, il est préférable, voire recommandé, de le mettre en scène (pour éviter de faire dans la facilité), mais surtout de s'en abstenir si cela n'apporte rien au récit (pour éviter la redondance/répétition, ou le hors-sujet, etc...). Le danger est que cela tombe comme un cheveu sur la soupe et fasse sortir le lecteur du récit.
En ce qui concerne "Mélanges de sangs": Barnard est un policier qui est lié au principal gang du Cap, les Americans. Un des contacts de Barnard, Rikki, fait partie de ce gang,et il a disparu. 24h plus tard, la voiture de ce Rikki est retrouvée, dans un quartier riche. Les voisins n'ont rien vu. Reste le gardien du chantier d'à côté, Mongrel: ex-détenu, criminel à grosses balafres et membre notoire du gang auquel les Americans livrent une guerre sans merci. A ce moment-là, je me dis que Mongrel devient le principal suspect et que Barnard va tout faire pour lui faire cracher le morceau. Or, quand le policier quitte les lieux, l'auteur nous annonce que Barnard soupçonne un des riches qui vit là. Non pas que ce dernier ait quoi que ce soit de suspect. Du tout! Il s'agit juste d'un des personnages principaux et Roger Smith cherche à augmenter la pression sur lui. Comme ça! Gratuitement, sans raison, sans justification.
Je dois quand même m'estimer heureux qu'il ne finisse pas son chapitre avec l'emploi de points de suspension. On n'est pas tombé aussi bas que chez Caryl Férey.

S'ensuivent des fragments de scènes (comptez deux pages chacune) avec des personnages surgis de nulle part, dont on ne sait rien, et qui difffèrent d'une scène à l'autre. Des fragments de scènes qui se déroulent un coup par ici, un coup par là. Ce désagréable ballotage ad nauseam, donne l'impression que Roger Smith cherche à appliquer à la littérature la technique cinématographique du montage alterné. Malheureusement des coupes franches à l'emporte-pièce au beau milieu des situations ne font jamais sens. Même pas en ce qui concerne le rythme qui au final ressort comme "bâtard".
Le chapitre 8 se termine au sommet de l'incohérence. Ah, ce Barnard, on peut lui faire faire n'importe quoi, et lui faire penser n'importe quoi, au fond, le lecteur est un con.
Soufflant d'exaspération à chaque page qu'on tourne, on est bel et bien littéralement à l'opposé du "retenir son souffle jusqu'à la dernière page"! On se retrouve devant le énième thriller bas-de-gamme, avec des personnages plus creux les uns que les autres, avec ses incohérences, et son degré zéro de l'écriture. Que ça se passe au Cap, en Afrique du Sud, ne change strictement rien, il n'y ici rien "d'atypique". Y'a plus qu'à mettre ça en tête de gondole dans les supermarchés, ça se vendra comme des petits pains.

(le 11/02/2017)

Horace_Neville
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le 11 févr. 2017

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Horace_Neville

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