Ainsi commence Même pas mort, première branche de la trilogie des Rois du Monde, écrite par Jean-Philippe Jaworski. Cette vie c'est celle de Bellovèse, héros celte légendaire mentionné dans l'Histoire Romaine de Tite-Live. Et c'est à celui-ci que Bellovèse s'adresse (tout du moins, on s'en doute grandement) en ouvrant le récit avec ce prologue à la deuxième personne du singulier.
Par un subtil enchâssement des récits, Bellovèse nous contera sa visite à l'île des vieilles, reviendra sur son enfance en exil et sur comment il fut frappé par un interdit car il n'est "même pas mort". Dans le récit de la vie de ce héros, on découvrira également tout un pan de la politique celte, avec ses rois, ses guerres, ses druides ...
"[Ambigat] capte tous ceux qui l’approchent avec ses rêves, son grand dessein d’un royaume universel. Il donne l’illusion qu’il peut magnifier ceux qui le servent en faisant d’eux les gardiens d’un âge d’or. Et puis, une fois qu’il les a séduits, il les plie à son caprice. A tous, il passe les mors. Il leur fait prendre l’allure qui lui chante, le pas, l’amble ou le trot, et même l’aubin ou le piaffer. Il les flatte distraitement, d’une caresse ou d’un mot, et tous en redemandent. Ils deviennent comme les attelages qu’on crève sur de longs chemin, comme les chiens qui gardent le seuil d’une maison nuit et jour, même quand il gèle à pierre fendre. Ils donnent beaucoup plus qu’ils ne reçoivent. Saisis-tu pourquoi Prittuse a fini par le quitter ? Comprends-tu qui est l’homme à qui tu es destinée ? C’est un tricheur. Il a perverti la royauté. Le pouvoir, pour lui, n’est plus un échange : c’est un manège. Les hommes tournent autour de lui comme des chevaux bridés : il choisit qui doit saillir et qui doit être coupé, qui peut être monté et qui sera sacrifié. Voilà pourquoi je me défie tant de lui ! Mes enfants sont frustes, mais tant que je les garde en exil, au moins demeurent-ils libres !"
Jaworski est brillant dans la langue qu'il nous propose et dans la construction particulière du récit. On voyage littéralement dans cette Gaule des Celtes d'avant la conquête romaine. On savoure chaque phrase, chaque mot, chaque virgule. Le roman pourrait presque n'être qu'un roman historique si le surnaturel ne faisait pas partie de la vie de ces peuples, l'auteur mêlant Histoire et mythologie celtique avec un tel brio que l'on pourrait y croire.
Inutile de vous dire (mais je vous le dis quand même) que j'ai vraiment été transportée par cette lecture. A tel point que j'ai failli le relire une seconde fois afin de mieux le chroniquer. Malheureusement, comme dirait l'autre "so many books so little time".
"Sur le champ de bataille, aussi, tu affronteras des ennemis plus forts, plus nombreux mieux armés. Tu seras blessé face à des adversaires vigoureux. Tu seras à pied pendant qu’ils t’attaqueront du haut d’un char. Que fait un héros de noble naissance, Bellovèse ? Il s’assied et il pleurniche que ce n’est pas juste ?"
Sang sur les armes, fracas des vagues sur le rivage d'une île inhospitalière, demeure enfumée en hiver, forêts profondes où se meuvent des dieux, courses d'armées dans la campagne, cris de guerre, longues chevauchées. Le dernier roman de Jaworski est tout en sensations fortes, des sensations brutes de décoffrage, violentes, odorantes, du temps où on se sacrifiait pour son roi, du temps où on était fier de mourir l'épée à la main.
"Place-toi dans la main d'Epona et prends soin de ton cheval."
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