Après avoir lu ici ou là que cet opus d'Annie Ernaux trahit chez elle une certaine fatigue, comme si sa plume s'émoussait alors même qu'elle annonce que ce texte est le plus fondamental de tous, celui qu'elle a en gestation depuis ses débuts, j'ai ouvert le dernier roman de cette femme que j'admire avec un peu de crainte.
On a toujours peur d'être déçu après avoir connu un choc émotionnel avec un auteur, dont on perçoit les mots comme absolument parfaits, en adéquation totale avec soi, comme ça a été le cas pour moi avec "Les années", mais aussi "La place", et autres... Au final, on retrouve ici les thèmes chers à Annie Ernaux, la place de la femme, la mémoire, les souvenirs et ce qu'ils impriment sur le présent, les images, les clichés noir et blanc d'une vie française depuis les années 50... Libération (relative) des mœurs, danger des rapprochements avec l'homme, carcan familial et sociétal, image de soi et construction de la personnalité. Dans tous ces thèmes, la grande dame excelle toujours, et j'ai retrouvé avec plaisir ces mots si parfaits, si puissants en même temps pour décrire l'impuissance de cette jeune fille face à ses désirs, ses incompréhensions.
Sa "première fois", si elle n'est pas à proprement parler un viol, y ressemble néanmoins. Sans y ressembler non plus... Bref, on comprend qu'elle soit perdue, l'ambiance de ces années-là est parfaitement rendue, avec une pudeur et une vérité louables.
Même si, en effet, ce roman n'est pas la claque qu'il pourrait être, finalement je préfère, car cela veut sans doute dire qu'il y en aura d'autres de madame Ernaux...