Le nom de Vidocq a depuis mon enfance été entouré d’une aura de mystère, notamment car ce fut à l'âge de 5 ans que le film éponyme fit parler de lui. Ce n'est que bien plus tard que j’appris que cet homme extraordinaire avait été l’inspiration des personnages Hugolien de Jean Valjean et de Javert, mais aussi de Vautrin chez Balzac. Aussi, ce fut avec surprise et joie que je découvris cet été une édition de ses Mémoires en fouillant dans l’échoppe encombrée d’un bouquiniste de Lorient. Et la lecture que j’en fis fut à la hauteur des attentes que j’avais pu placer dans le récit de cet individu hors-du-commun au destin entouré d’une légende populaire depuis son vivant.
De mon point de vue, ces Mémoires font partie des textes les plus importants de la littérature française, et pourtant je reste surpris de voir que si peu de gens ont pu le lire sur un site culture tel que SensCritique. Publiée en 1828, un an après son éviction de la brigade de Sûreté de Paris, une police secrète agissant secrètement sous les ordres du préfet de Paris, les Mémoires de Vidocq ne se résume pas à une simple autobiographie. En effet, si l'autobiographie pure se focalise sur la vie de son rédacteur, le mémorialiste qu'est Vidocq dépeint le tableau précis et haut en couleurs des époques qu'il traversa au cours de son existence. Il livre enfin les secrets sur bon nombre de légendes qui couraient sur lui à son sujet. Mais on peut également le voir adopter un ton beaucoup plus polémiste lorsqu'il critique le système policier et judiciaire. Tout cela confère un intérêt historique remarquable à toute son œuvre. Le texte de l’ancien forçat est également marqué par un intérêt certain porté aux plus faibles, ce qui confère d'autant plus de sens qu'il se place quelques années avant les trois glorieuses. Ironie de l'histoire : il fera son retour à la "Sureté" en 1832, mais fut contraint à la démission lorsqu'on lui reprocha les excès de sa police en répression de la révolution de Juillet.
Il est à signaler que le style du livre participe énormément à l’immersion dans l’histoire. On peut dire que Vidocq adopte un style policier dans son écriture, qui fait se dérouler les évènements de façon très limpide. Ici, la description va à l’essentiel et ne s’éparpille pas dans l’inutile. Chaque mot contribue à la compréhension plus complète du tableau que souhaite nous peindre l’ancien policier.
On devine sans s'y méprendre, et bien que n'ayant pas la moindre caution d'un universitaire versé dans la question, que les auteurs de son temps on puisé dans sa vie et sa légende pour alimenter leur écrits. Balzac que nous avons déjà évoqué plus tôt accorde un quart de Splendeur et misère des Courtisanes à faire le récit de Vautrin, un forçat évadé qui devient policier. Eugène Sue écrira "Les Mystères de Paris" qui inspireront en retour Vidocq à écrire Les vraies Mystères de Paris. Enfin, je mettrais ma main à couper que Victor Hugo lui-même, fut un lecteur assidu de ces Mémoires. Sans rien retiré au style puissant du plus grand écrivain français, on retrouvera dans les Misérables plusieurs chapitres écrits dans le même style « journalistique » que Vidocq pouvait avoir lorsqu’il tâchait de nous décrire le monde du bagne et des voleurs. La présence d’un intérêt commun pour le sort des plus faibles, en dépit bien sûr du fait qu’il arrêtait les criminelles, les unit en quelque sorte du point de vue de leurs valeurs. Un détail frappant viendra ajouter à mon argument, en effet, au cours d’une de ses anecdotes, on nous présente le personnage d’un curé qui donnait aux pauvres une grande partie de son revenu, ce qui n’est pas sans nous rappeler l’évêque qui donna à Jean Valjean ses couverts en argent.
Une critique que l'on pourra faire à ce récit est bien entendu celui de l'authenticité ; en effet, il est difficile d'exclure l'hypothèse selon laquelle Vidocq aurait voulu laver son honneur et eu pour cela recours à certains arrangements avec la réalité. De même, il est attesté que les éditeurs de Vidocq employèrent différents nègres littéraires pour ajouter des épisodes à l'histoire de Vidocq. Cependant, qu’elles fussent écrites par le fameux Vidocq ou non, qu'elles fussent entièrement vrai ou non, ces Mémoires constituent un corpus d'informations fourmillant de détails sur la France de 1790 à 1830 dont l'authenticité ne peut être mis en doute. Un conseil de lecture que personne ne pourra regretter !