Ma première visite à Saint-Malo remonte au temps, déjà assez lointain, où j’étais chef de patrouille chez les scouts. Nous avions commencé notre « hike », une marche de trois jours, au Mont Saint-Michel. Ensuite, les chefs nous avaient fixé un itinéraire breton comprenant Saint-Malo, Dinard, Dinan et Combourg. J’avais déjà étudié quelques passages de Chateaubriand (1768-1848) dans mes classes de français et je ne résistai donc pas au plaisir de marcher sur la plage à marée basse pour voir le Grand Bé, la presqu’île au large de la cité malouine sur laquelle l’auteur des « Mémoires d’Outre-Tombe » a choisi d’être enterré.

Ensuite, avec ma patrouille, nous nous sommes rendus au port de plaisance de Saint-Malo. Les règles du hike chez les scouts sont claires : pas d’auto-stop. Mais pour le « voilier-stop », c’est sujet à interprétation. Nous avons donc trouvé un plaisancier sur le point de quitter le port qui eut la gentillesse de nous prendre à bord de son bateau pour rejoindre Dinard, de l’autre côté de l’embouchure de la Rance, nous épargnant plus de deux heures de marche. Notre capitaine n’hésita pas à nous mettre à contribution et ce fut une de mes premières expériences à bord d’un voilier.

Quelques jours plus tard, en arrivant à Combourg, nous marchions le long des murs du château où François-René de Chateaubriand, le chef de file du romantisme français, passa sa jeunesse. Le château se visite, mais la caisse de patrouille ne nous permettait pas cette dépense. Je me suis alors permis d’entraîner mes compagnons à franchir le mur d’enceinte de la propriété, pour nous promener dans le superbe parc et admirer de loin les murs de ce château à l’allure austère. Dans ses mémoires, celui que ses contemporains appelleront « L’Enchanteur », écrit que « C’est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis ».

J’ai longtemps été fasciné par le personnage de Chateaubriand, notamment suite à l’adaptation télévisuelle de « Mon dernier rêve sera pour vous » le roman biographique dans lequel Jean d’Ormesson raconte la vie mouvementée du Vicomte, en privilégiant l’angle de ses aventures sentimentales. Mais ce n’est qu’il y a quelques mois que je me suis décidé à lire l’ensemble des « Mémoires d’Outre-Tombe ». Deux volumes de la Pléiade, tout de même ! C’est un voyage fascinant dans une vie qui mêle histoire et politique - de la Révolution française à la Monarchie de Juillet en passant par Napoléon et les Bourbons -, les voyages (en Amérique et en Orient), la littérature et les passions amoureuses. Dans cette œuvre monumentale, ce sont les pages sur Combourg qui sont parmi les plus émouvantes. L’épisode de « La Grive », écrit en 1817, près de 30 ans après sa jeunesse en Bretagne, est un des passages les plus célèbres du romantisme, et d’une certaine façon préfigure déjà la fameuse « Madeleine » de Proust.

« Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. » (François-René de Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe, Première Partie, Livre III, Chapitre I).

https://www.lecturesdevoyage.travelreadings.org/2025/01/17/saint-malo-et-combourg-bretagne-memoires-doutre-tombe-par-francois-rene-de-chateaubriand-et-toute-la-lumiere-que-nous-ne-pouvons-voir-par-an/

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il y a 3 jours

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