Mémoires d'un révolutionnaire est un livre qui, bien que difficile d'accès du vivant de l'auteur (ses livres ont eu beaucoup de mal à passer des censures plus ou moins ouvertes) et quasi oublié depuis, reste essentiel.
Victor Serge (il s'agit d'un pseudonyme) est né en Belgique de parents russes émigrés politiques - comprendre anti-tsaristes. Durant toute sa vie, il vivra au plus près des Révolutions, et particulièrement de la Révolution d'octobre, puisqu'il participera activement à la mise en place du régime bolchevik à Leningrad, dans les sphères politiques.
Cependant, le destin de Victor Serge n'est pas celui des fonctionnaires qui ont rejoint le parti à la mort de Lénine, faux révolutionnaires mais véritables bureaucrates, qu'il n'aura de cesse de dénoncer. Le destin de cet auteur est celui d'un authentique intellectuel et révolutionnaire, revendiquant la liberté de la pensée, l'immense importance des droits de l'homme, l'analyse rigoureuse des régimes en place. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que les régimes bourgeois comme autoritaires ont su le punir de cette pensée libre, forcément dérangeante. Il fait partie de "l'opposition de gauche", qui se structure autour de Trotsky, tout en prenant régulièrement ses distances par rapport aux idées "du Vieux", qu'il est loin d'approuver en bloc. Ses mémoires nous racontent le cheminement intellectuel et politique d'un homme qui a toujours cherché la vérité, aussi douloureuse qu'elle puisse être. Et quelle douleur est-ce de se rendre compte que la Révolution tant espérée, celle qui devait rendre l'égalité aux Hommes, dévie de son but au point d'exécuter ceux qui l'ont rendue possible ! Malgré tout, Victor Serge ne cessera jamais de travailler, d'écrire, de dénoncer, d'essayer de trouver de nouvelles voies pour les révolutions.
Pour avoir fait partie de cette opposition de gauche au sein d'une URSS gangrénée par la bureaucratisation et la violence de la répression, il passera plusieurs années en prison et en déportation en URSS, avant de pouvoir regagner la Belgique, puis la France.
Il aura aussi un mal fou à quitter la France occupée par les nazis, tandis que les phalangistes et fascistes de tous ordres n'ont aucune difficulté à émigrer dans tous les pays du monde. Une nouvelle fois, la bourgeoisie sait toujours défendre les siens...
Ce livre est un précieux témoignage concernant l'Europe des révolutions, celle qui aurait pu, mais qui n'a pas su concrétiser toutes les aspirations qui bouillonnaient au début du XXème siècle. Il est douloureux de lire tout cet espoir, cette croyance qu'entretenait l'auteur que la classe ouvrière se reconstituait politiquement et saurait donc continuer sur la lancée révolutionnaire, quand on vit en 2018. Cependant, il nous rappelle également qu'il ne faut jamais cesser de travailler à un monde meilleur, toujours par la recherche scrupuleuse de la vérité.