Je n'ai eu ni le courage ni la patience d'éplucher la totalité des critiques sur cet ouvrages, mais j'ai tout de même pris la peine de lire quelques outragé.e.s qui dénonçaient, pêle-mêle, la misandrie, la critique de la féminité ("ouin ouin la dame est pas gentille avec mes talons"), et je suis très surprise de constater que l'élément le plus important du livre, le fil rouge qui revient sans cesse, sans pour autant qu'il lui soit concerné un chapitre à part entière, est bien souvent totalement occulté par ceux qui ont voulu rédiger une critique (je m'excuse d'avance auprès de ceux qui l'auront fait mais dont je n'ai pas lu le texte).


Il s'agit du lien que fait Despentes entre féminisme et système économique, et qui est fondamental lorsqu'on veut penser une oppression systémique.


Que l'on soit féministe ou opposé aux égalités élémentaires entre êtres humains, on ne fera que des ronds de jambes sans intérêt sur divers sujets qui ne feront pas grandement avancer le schmilblik si on ne s'arrête pas sur le fait que c'est le système économique qui forme le fonctionnement d'une société ; et Despentes n'analyse pas autrement la place des femmes, quel que soit le domaine.
Ses positions sur la prostitution vous choquent ? Vous considérez que seule l'abolition pure, simple et immédiate est la seule issue possible ? Le point de vue se défend, mais travailler pour des multi-millionnaires qui ne font qu'augmenter leur fortune sur le dos d'exploités au salaire minimum rend-il pour autant plus digne ?
Et lorsque certaines critiques pointent - à raison - que Virginie Despentes semble opportunément oublier les conditions de travail du X (selon moi, elle est plus claire sur la prostitution), il ne faut cependant pas oublier les conditions de travail réelles des femmes dans d'autres branches.
Ici, morale et analyse des conséquences quotidiennes d'un système économiques sont dissociés ; ce qui est nécessaire si l'on veut penser des faits.


Si tout ce que vous préoccupe à la lecture de ce livre est d'être offensé parce que les hommes sont malmenés, parce que les attributs extérieurs d'une féminité crée artificiellement sont critiqués ou pour des raisons tout aussi profondes, alors, il est vraiment temps de repenser le féminisme, et de repenser votre vision des luttes pour les droits de manière générale. Car la grande qualité de cet ouvrage, même si de nombreuses affirmations de Despentes sont discutables et critiquables, c'est de remettre la question des luttes féministes dans un cadre qu'elle ne devrait jamais quitter : celui de l'oppression économique comme fondement de la domination, du capitalisme libéral comme marchandisation de l'humain.
Les dernières lignes sont d'ailleurs extrêmement claires : "Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air."
Ne nous leurrons pas, ne faisons pas semblant de ne pas comprendre : "tout" n'est pas l'homme blanc, mais le système économique qu'il a crée. Une véritable égalité ne sera pas possible dans ce cadre là, et le féminisme serait donc un outil vers plus d'égalité, vers la fin d'un système destructeur pour tous ceux qui n'en profitent pas ; tous ceux qui ne sont pas "l'élite", qu'elle évoque à de nombreuses reprises. Destructeur certes pour les femmes, mais aussi pour les hommes.

Leenne
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le 10 mars 2018

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