King Kong théorie par Lauren Plume
Difficile d'émettre un avis sur ce bouquin. Certains passages devraient être imprimés en gros caractères dans la rue, le métro et les autobus. D'autres m'ont laissée franchement perplexe (ha bon? les hommes qui regardent des films pornos s'identifient aux femmes? Parce que dans le porno on voit que des corps de femmes? Heu tu as pris quoi, Virginie, entre cette page et la précédente ?).
On saute ainsi d'une analyse très juste et pertinente à des théories un peu fumeuses. C'est à se demander, parfois, comme l'autrice peut être à la fois aussi clairvoyantes sur certains sujets, aveugle sur d'autres. Comment, avec une analyse aussi fine des aliénations des femmes en matière de séduction, peut-être défendre la prostitution avec un tel aveuglement, comme si ça n'avait aucun rapport ?
J'ai parfois eu l'impression (surtout lorsqu'elle parle de prostitution) que l'autrice n'arrive pas à voir plus loin que la dichotomie mère / putain, n'arrive pas à penser en dehors de cette dichotomie. Quel est l'intérêt, pour une féministe, de discuter si la putain vaut mieux que la petite sainte ? N'est-ce pas une préoccupation totalement machiste ? Est-ce qu'on ne peut pas simplement être autre chose? Cette vérité-là, Virginie Despentes l'effleure, la touche du doigt, mais ne l'énoncera jamais, et s'en éloigne parfois, jusqu'à se perdre dans des tergiversation un peu idiotes. Certes, il est intéressant de constater que les putes ne valent pas moins que les autres, toutes les femmes sont pareilles, et les hommes aussi du reste; chacun essaie de s'en sortir au mieux dans le système. Mais il serait encore beaucoup plus intéressant d'imaginer ou de proposer d'autres alternatives pour les femmes, au lieu de rester coincé dans des choix du genre "la peste ou le choléra". Des fois, ça devient pénible. Elle en arrive même à victimiser les clients de la prostitution. Les pauvres, ils sont en manque d'amour. Elle a le mérite de reconnaître aussi l'oppression des hommes par le sexisme (injections impitoyables à la virilité, à l'hétérosexualité, au refoulement des sentiments, etc), mais il ne faut pas exagérer.
Mieux: pour Virginie Despentes, le porno est une chose formidable, pas du tout aliénante, qu'on réserverait même aux élites pour laisser les autres se dépatouiller avec leurs problèmes sexuels. Elle en parle comme si seuls les nantis avaient le droit de regarder des films pornos, ce qui les permettrait de se décomplexer par rapport a la sexualité (!). Il me semble au contraire que le porno est accessible à tout le monde, même aux gosses, et que de voir des étalons priapiques armés de démonte-pneus chevaucher des bimbos refaites de haut en bas n'a jamais rendu aucun homme, ni aucune femme, plus à l'aise avec le sexe... De même, elle semble considérer que le libertinage est réservé à une élite, mais aussi qu'il règle les problèmes sexuels des gens, ce qui est ridicule.
Malgré ces approximations, ces bourdes, et même ces contre-vérités, ça reste plutôt un bon livre. La façon dont elle revient sur le viol dont elle a été victime est à la fois glaçante de réalisme, et presque apaisante, tant elle remet les choses à leur place, en démystifiant le viol: aussi terrible que soit l'expérience, on y survit. Son expérience d'autrice est également très intéressante, elle décrit avec une certaine colère légitime la façon dont elle a été traitée par les médias, non pas en tant que personne ayant produit un livre puis un film, mais stigmatisée en tant que femme (est-elle jolie? est-elle hystérique? est-ce qu'on se demande ça de tous les auteurs?).
Bref, ce livre est à lire, mais avec des pincettes.
(ps: pour ceux qui tiquent sur le mot "autrice", oui, ce mot existe, et non, ce n'est pas un néologisme).