Dans ce roman de jeunesse (1837), William Thackeray prête sa voix à un valet de pied qui raconte ses souvenirs tout en égratignant la société victorienne avec un humour cinglant.
John-Herbert-Sigismond-Fitz-Roy de la Pluche, fils d’une prostituée et d’un père inconnu, endosse la livrée dès son plus jeune âge. Mais tous les valets ne se valent pas ! Possédant à la fois « une haute opinion de son mérite et une bonne envie de médire de son prochain », notre héros met un point d’honneur à ne servir que le gratin de la société britannique. Non qu’il tienne en haute estime la morale des aristocrates – ce récit prouvera qu’il n’en est rien ! -, mais le train de vie des élites lui convient à merveille. Et puis dans ces milieux huppés, même les plus basses intrigues ont un air de distinction. C’est pourquoi, après avoir servi un roturier bien décevant, John s’engage comme valet de pied chez l’Honorable Hector Percy Cinqpoints, fils de Lord Crabb. Le nouveau maître de John n’est qu’un escroc égoïste, un débauché et un coureur de dot. Mais que cela ne tienne. Cet emploi permet au jeune valet de fréquenter les pairs du royaume, et de voyager en France avec Cinqpoints lorsque celui-ci doit fuir ses créanciers. Voilà notre héros introduit dans les salons parisiens. C’est là que l’Honorable H. P. C. fait une cour assidue à ses nouvelles victimes : Lady Griffin et sa belle-fille, toutes deux héritières d’un officier des Indes. Avec sa manie d’écouter aux portes et de lire comme par hasard le courrier de son maître, John découvre des intrigues savoureuses qu’il saura tourner à son avantage.
Ce court roman préfigure l’œuvre maîtresse de Thackeray, « La foire aux vanités ». On y trouve en des dimensions réduites le même talent de conteur et la même satire sociale fortement teintée d’humour. La personnalité du narrateur, laquais roublard et vif d’esprit, donne une saveur irrésistible au récit. Il y a là quelque ressemblance avec Sam Weller, le valet de Mr Pickwick, auquel John fait d’ailleurs référence. Le comique de situation est très présent, au point que cette œuvre a été adaptée récemment pour le théâtre. Ce qui est également appréciable, c’est la grande liberté de ton qu’adopte Thackeray sous couvert de son valet de pied. Il n’hésite pas à fustiger les institutions les plus sacrées de son époque, comme l’aristocratie, le mariage et même l’honneur. Tout cela sur un ton léger qui ne peut que faire rire, alors même que la malhonnêteté triomphe à chaque page. O vanité des vanités !