Le passage du point de vue du lyncheur à celui de la victime.

Annonciateur d'une théorie qui connaîtra ensuite un déploiement considérable, ce livre met au point certaines des idées fondamentales de Girard. Ce qu'il découvre à travers l'analyse des grands romans européens (mais pas uniquement), c'est cette différence entre la posture romantique, et son contre-pied romanesque.

La posture romantique consiste à rester proche du mythe : dans le récit, une victime émissaire est dénoncée et sacrifiée, exclue. Mais cette exclusion est toujours présentée depuis le point de vue de la foule qui la lynche. La foule est présentée comme légitimée dans son action, tandis que la victime mérite ce qui lui arrive.

La posture romanesque, au contraire, sort du mythe. Elle s'attache à montrer les mêmes évènements, mais cette fois du point de vue de la victime. Le romanesque présente celle-ci pour ce qu'elle est : une victime. On montre l'exagération des lyncheurs et l'absurdité des reproches faits à la victime.

Cette différence est fondamentale parce qu'elle modifie tout le comportement de la culture vis-à-vis de la violence sociale, en véhiculant une conception de la justice radicalement différente. La vérité romanesque n'est pas anecdotique pour Girard, elle conduit au monde moderne, épris d'égalité et de liberté, que nous connaissons aujourd'hui (on parle bien de l'idée, et non du fait qu'elle se soit réalisée dans les faits de façon satisfaisante).

Le mensonge romantique appartient à la tradition, là où la vérité romanesque est un terreau pour la modernité : mais c'est une évolution qui n'est pas jugée positivement ou négativement. Il n'y a pas de morale dans l'entreprise de Girard, pas de "c'est mieux maintenant". Ce livre est donc un essentiel pour tous ceux soucieux de parfaire leur compréhension du mécanisme victimaire, du comportement mimétique, car il donne une bonne représentation de la façon dont Girard a construit sa pensée, notamment celle que l'on retrouve dans "Des choses cachées depuis la fondation du monde".