De l'autre côté du miroir
Sur une île perdue, un vieil homme vit avec une jeune femme dont il a fait la découverte cinq ans auparavant. Blessée, mutilée par un bombardement, la pauvre femme vit désormais avec ce vieillard qui l'a recueillie par bienveillance. Enfin, à peu de choses près. Très vite, elle apprend qu'elle est complètement défigurée et que ce havre de paix sera son lieu de vie pour toujours. Le vieil homme est follement amoureux d'elle et, comme un père, un amant et un ami, fera d'elle son pupille, son idéal, son objet de fantasme et sa raison d'être. Prise au piège, s'emprisonnant elle-même par peur de dévoiler au monde son hideux visage, elle choisit de rester et subit les assauts de cet homme la dévorant d'amour. Une infirmière, Françoise, vient s'occuper d'elle tous les jours et s'impose très vite comme le parfait exutoire. Dans sa geôle d'ivoire, la jeune Hazel n'a aucun moyen de se voir, aucun miroir. Elle retrouvera la fierté et la grâce dans les yeux de son infirmière particulière jusqu'à ce que les trois êtres ne puissent plus cohabiter...
Mercure est un Nothomb intéressant à bien des égards et qui mélange des thèmes chers à l'auteur. On y trouve le dégoût, le regard de l'autre, les extrêmes dans la beauté comme dans la laideur, les passions démesurées, la souffrance du paraître en société et par rapport à soi-même, la différence. Construit comme un thriller, Mercure doit son originalité à son cadre et à son trio jubilatoire qui fait croître une tension palpable durant tout le récit. Derrière des secrets, des manigances et des faux-semblants se cachent de lourdes révélations et un amour si fort et si pesant qu'il ne peut mener qu'à une fin tragique. C'est ce qu'on attend d'un livre d'Amélie Nothomb et c'est ce qui arrive, toujours. Ce pessimisme exacerbé est bien moindre ici, sous une forme plus cynique, vous aurez du plaisir et même un certain attachement envers cette "captive" dont le destin est nôtre très vite dans le roman. Le miroir comme miroir de l'âme, absent de cette île de barge mais tellement présent tout au long des dialogues et des actions qu'il en est très intéressant. La façon dont l'autre nous voit, la façon dont on se façonne grâce à sa propre image ou, au contraire, grâce à celle que les autre nous renvoient, autant d'axes de lecture qui font des trois personnages une curiosité indéniable. Nothomb propose une fin alternative qui est, pour le coup, complètement justifiée et totalement à l'opposée de sa fin classique. Même si elle réfute l'interactivité avec le lecteur, elle nous permet de mener nous-même notre barque parmi la pertinence des différents choix des héros.
Les défauts restent cependant trop nombreux à mon goût. La personnalité de Françoise pour commencer, trop peu étoffée et parfois complètement contradictoire. Non seulement on a beaucoup de mal à s'attacher mais en plus, elle est soit trop agaçante soit trop sympathique. Jamais dans l'entre-deux, elle est le porte-drapeau de l'écrivain qui n'est quasiment présent que pour faire avancer l'intrigue et mettre en lumière l'énigmatique Hazel. Les références littéraires, aussi, qui font apparemment la joie de Nothomb mais qui arrivent un peu comme un cheveu dans la soupe. Simplement évoqués, parfois brièvement, la plupart ne sont là que par amour de la littérature. Elle avait fait de ces références un sujet de livre entier dans "Les combustibles" mais presque tous les noms de romans étaient factices, c'est ballot ! Enfin, le tout aurait eu besoin d'être étoffé notamment concernant la première "femme" du vieillard ou la relation entre Hazel et elle. Mais comme trop souvent, c'est très court, trop court...
Pas emballé mais beaucoup mieux que certaines œuvres. Une histoire un peu malsaine et des relations fusionnelles que je conseille aux fans de Nothomb. Pour les néophytes, dirigez-vous d'abord vers Hygiène de l'assassin, Acide Sulfurique ou Stupeur et tremblements, des œuvres que je juge plus intéressantes et moins fourre-tout.