Vexations

"Je cherche un ami. Je crois que je ne le trouverai jamais"

Suite à la guerre de 14, Victor Bâton touche une pension pour invalidité, il ne travaille pas et arpente la capitale, meuble son temps et surtout, cherche un ami.
Il essaye de solliciter la rencontre avec celui qu'il ne quitterait plus, et celle
qui lui serait dévouée.
C'est un homme aux sentiments très délicats, fragile comme de la porcelaine, et qui s'attriste souvent de l'indélicatesse de ses congénères . C'est le naif noyé dans la ville
et dans son époque, le solitaire malgré lui que nous décrivait déjà Poe dans "l'homme des foules".

Il aimerait donner tout ce qu'il a, c'est à dire, à défaut d'argent, son coeur, son temps, mais les autres se détournent, glissent au loin, pour des raisons différentes, ou c'est parfois lui
qui s'en va : bref, les autres sont décevants.
Quand on a cette sensibilité, tout devient problème et quand on a une telle demande d'amitié, tout fait mal.

L'infra- héros de Bove porte bien son nom, car il fait penser à un chien qui rapporterait toujours, et parce qu'il prend tout au long de ces 172 pages des coups, se heurtant
à l 'indifférence et l'indisponibilité des autres.

On peut avancer sans trop s'avancer que le Camus de " l' étranger", le Perec
d ' "un homme qui dort", ainsi que Calimero, pour ne citer qu'eux, ont été imprégnés par ce livre, paru en 1924 ...
Le style est modeste, comme les moyens de Victor Bâton, les phrases sont courtes,
mais font entendre une petite musique discrète et mystérieuse, familièrement étrange :

"J'errais dans les rues, l'âme joyeuse et vivant seule, sans les yeux ..."

"En face de moi, un monsieur, qui avait pourtant l'air honorable, dessinait des femmes nues pour avoir le plaisir de noircir un triangle, au milieu ..."
(Sempé a peut-être lu son Bove aussi...)

Beckett disait de Bove qu'il avait comme personne le sens du détail touchant.

" La rue, pleine de monde, était floue comme quand on essaye les lunettes de quelqu'un .
Les têtes des gens ressemblaient à des masques. Les phares des automobiles passaient à hauteur de mon ventre.
J'avais du coton dans les oreilles.Les moteurs des taxis avaient un air de ferraille chaude, sans valeur.
Le trottoir bougeait sous mes pieds, comme quand on se pèse.
On eu dit une rue de rêve, avec des lumières n'importe où ."

Ca a l'air simple, mais je pense à cette phrase de Jouvet :
"Comme il faut travailler pour être naturel".

P.S : à mon sens (critique), Esotérik Satie, comme l'appelait A. Allais, avait composé 20 ans auparavant la bande son idéale pour ce livre, faites d'errances et de circonvolutions décéptives,qui a donné son titre à ma critique.