Depuis quelques années l’on revient en France sur certains auteurs oubliés des années 1910-1930. On ne peut que louer cela, même s’il serait bon peut-être de d’abord chercher à faire surgir les grands auteurs de langue française de notre époque (par exemple un certain Edouard Glissant, mort l’année dernière, que la France encore ignore…), plutôt que d’aller fouiller dans les ruines du passé pour y dénicher les oubliés. Qu’importe – dans cette démarche certains ont vu bon de faire ressortir de l’oubli Emmanuel Bove, auteur à succès de son temps qui était, il y a peu, tombé dans un oubli complet.
Si je juge par le roman « Mes Amis », son premier, je comprends pourquoi il était tombé dans l’oubli : un roman sans importance.
Pour le résumer allez voir la notice de la page senscritique. Aucun spoiler dans ce qui suit.
Il est tout à fait possible qu’il ait pu à l’époque aider des auteurs comme L.-F. Céline ou J.-P. Sartre à construire leur œuvre, à avoir l’audace de faire ce qu’il voulait faire. Le personnage principal n’est pas sans évoquer ces anti-héros qui vont se multiplier à partir des années 30. Personnage simple, malheureux, perdu, lâche, etc ; de même les thématiques du roman (l’obsession du quotidien, de la petitesse, de l’ennui etc) ou les lieux (Paris, les chambres d’hôtels, les rues étroites et boueuses, les cafés etc). Ainsi peut-être qu’historiquement ce livre a de l’importance. Il faudrait encore prouver que les auteurs reconnus des années 30-40 l’aient lu – bien d’autres sources sont possibles (Joyce, Hamsun, les naturalistes, les décadents etc). Sauf qu’on est à dix mille lieux en dessous de Molloy ou de Ferdinand Bardamu.
Je ne supporte pas les livres mesquins, à propos de personnages mesquins, qui se complaisent dans la petitesse et la médiocrité, la bassesse et la saleté, sans rédemption et/ou contre-discours. L’existence et nous-même sommes déjà pas grandiose, n’en rajoutons pas voulez-vous. Et c’est tout ce que fait ce roman, de long en large en long, de page en page : en rajouter. Pas un moment ni un moyen pour créer quelque chose de la boue, pour en sortir, pour vouloir même en sortir. Comme un personnage de tragédie Victor Bâton (le personnage principal) cherche son destin : marcher dans la boue. Il est un imbécile malsain que rien ne ressuscite (à l’inverse par exemple de F. Bardamu), et la narration n’est pas là pour le démolir et essayer en contre-point d’échapper à sa bêtise (à l’inverse par exemple des romans de Flaubert). On n’apprend rien non plus, ou presque, sur nous-même ou la société, et ce qu’on apprend est trop sans importance pour avoir à se supporter ces errances basses et crasses. Il y a bien des touches d’humour, mais bien trop rares, ça ne suffit pas, loin de là, à donner un peu de vie et d’intérêt à tout ça. Et qu’on ne compte surtout pas sur le style de l’auteur ; car le style à lui aurait pu suffire pour faire de ce tas de boue de l’or – à nouveau L.-F. Céline, S. Beckett etc etc (pas besoin de moi) - ce n’est pas mal écrit, mais ce n’est pas du tout assez suffisant pour qu’à lui seul le style fasse le travail. A part quelques belles trouvailles on s’ennuie.
Pourtant le tout premier chapitre augurait bien : c’est une description réussie du réveil d’un immeuble, dans un style impressionniste extrêmement convainquant. On en sort ravi, touché, léger. Passé ce premier chapitre quelques descriptions ne sont pas loin de retrouver talent, sur une tonalité plus surréaliste. A nouveau bien trop rare, et trop noyé dans la médiocrité.
Que faire de ce roman, pourquoi l’avoir sortie de l’oubli ? Je ne sais. Peut-être saurez-vous, peut-être suis-je juste une moitié de cerveau. Mais j’ai mes doutes.