Imagine there is no description I wonder if you can.
Dans son sixième roman, Marc Levy met en scène deux trentenaires, divorcés et pères de famille qui s'installent ensemble à Londres. Pourquoi font ils cela? Pour élever leurs enfants au mieux.
Le choix est discutable (d'ailleurs cette colocation sera dissoute à la fin du bouquin.)
Aussi parce que l'un d'eux, Mathias, émigre à Londres sur un coup de tête, où il ne connait que 2 personnes. Donc forcement il vit avec eux. Ce qu'il y a de bien dans cette histoire c'est qu'à la fin, Mathias en connaitra à peine plus, mais nous y reviendrons.
A ce stade, on peut se demander: mais à quoi ressemblent nos personnages?
Mystère...
Imagine there is no descriptions I wonder if you can.
It's easy if you try.
Eh oui, dans ce roman Marc Levy ne décrit, sauf grosse erreur de ma part, pas une seule fois les personnages principaux.
Prenons le cas d'Audrey, jeune femme dont Mathias va tomber amoureux. (Par ailleurs son prénom nous est balancé, t'aurais pu faire un effort.)
Elle est décrit uniquement comme une "superbe femme". Et il me semble qu'elle n'est pas chauve. Mais sinon rien, ni sa couleur de cheveux, ni sa couleur de peau, si elle a des lunettes ou un œil de verre, RIEN, nada, néant, walou. Et c'est comme ça pour tout le monde.
La où ça me pose problème, c'est que quand je lis, moi j'imagine la scène. Donc les personnages. Et je fais comment, moi, si je connais juste leurs âges et leur sexe, hein?
Une seule solution: j'invente. Je décide arbitrairement de la gueule d'Antoine: il est chauve avec de petites lunettes.
Sophie est vietnamienne, Audrey black et Mathias a les cheveux bruns et une barbe de trois jours.
Mais attention je peux aussi inverser et imaginer qu'Antoine ressemble à Brad Pitt, Mathias à Denzel Washington ou à Chow Yun Fat ou Jackie Chan, etc.
C'est donc une histoire avec des personnages universels, une histoire dont vous êtes le co-auteur. C'est cool, non?
Inutile de vous dire que l'immersion est complètement bousillée par ce fait, en effet devoir réinventer le physique de chaque personnage à chaque fois coûte un petit effort intellectuel qui vous fait sortir du bouquin.
Mais malheureusement ce n'est pas la seule chose qui vous en fait sortir. Le style lapidaire de l'auteur rend chaque action un peu lointaine, éthérée. Je ne suis pas parvenu à vraiment me plonger dans cette histoire. Elle me paraissait un peu fausse, pas assez réelle.
De plus l'auteur a la désagréable habitude de changer de personnages tout le temps. (Avec les fameuses trois *) Cela hache donc le récit, lui donnant une impression de superficialité. En plus ce n'est pas toujours pertinent. Certes on a l'impression que c'est vivant, mais bon, on a aucune, quasiment, introspection des personnages. Leurs psychologies et leurs pensées sont survolées. Sauf pour John le vieux et riche libraire, qui est un des seuls personnages potables.
Car pour les autres...
La majorité des personnages sont désespérément stupides...
Antoine n'est pas capable de voir qu'il "joue les Cyrano" depuis un bon bout de temps. Mais bon on lui pardonnera. Sinon il se fait berner par des gamins en CM2, et n'est pas même capable de se souvenir que "sa" à la place de "ça" c'est une faute typiquement enfantine que même Mathias serait incapable de faire.
Je dis pas que c'est invraisemblable je dis juste qu'il est naïf, voire un peu con. En tout cas il réussit à se faire entuber par Mathias qui, lui, a vraiment du mal à aligner deux idées cohérentes.
Exemples:
-Bon déjà pour aménager en Angleterre en ne parlant pas un mot d'anglais, il faut être un peu désespéré...
-Ensuite, il croise une femme (la fameuse Audrey) dans une école en allant à une réunion parents profs, et comme elle lui dit que la réunion est terminée, son esprit malade en déduit que c'est elle la maitresse... Ca aurait pu être une mère d'élèves, mais non il fallait que ce soit la maitresse. Puis bon c'est logique, une institutrice ça achète un Lagarde et Michard sur le XVIIIe. (Oui j'ai envie de hurler, la, ce type ne prend jamais la peine de réfléchir.)
Il dine avec elle, après avoir sauvé un gamin alors qu'il a lui même le vertige. Et après pris de remords- il sort quand même avec la maitresse du fils de son meilleur pote- il lui écrit une lettre de rupture et la donne au dit fils.
Mais il la revoit le soir même, et est tout surpris en arrivant chez lui de découvrir que ce n'est pas la maitresse... Mais il n'a pas pensé un instant avant que si elle lui parle c'est qu'elle n'a pas reçu son mot de rupture et donc que ce n'est pas la maitresse... CQFD.
Bon donc pour continuer avec les personnages avec deux de QI on a Mackenzie le seul "local" du coin. Il n'est pas méchant, mais c'est celui qu'on entube souvent.
Sophie, je passe. Rien a dire.
Yvonne est aussi intéressante. Elle a l'air d'une personne normale (elle a plus de trois amis...) et puis elle est gentille (un peu cliché, mais bon...). De plus elle a une bonne empathie, elle comprend bien les gens, et leurs motivations, et sait apparemment cerner si on peut leur faire confiance ou pas.
De plus elle a la délicatesse de mentir à ses proches quand on lui annonce qu'elle va mourir. Sa mort est plutôt bien faite d'ailleurs. Allez un point pour la mort d'Yvonne dans le jardin de John. (Et un poing dans ma tronche pour le spoiler)
John, qui en restera inconsolable et nommera sa rose Yvonne, in memoriam. John qui est affreusement riche et qui tient une petite bibliothèque, tout en donnant anonymement aux hôpitaux et aux orphelinats. John le seul véritable anglais de ce bouquin. John ce héros. Un point pour John!
Car oui, j'avais oublié de le préciser, mais nos personnages sont grosso modo de gros asociaux anti anglais.
Aucun des deux ne fait l'effort de sortir du quartier français, de Frog Alley. Ils restent coincés avec les mêmes amis. Le nombre de personnages de ce roman ne doit pas excéder 15 en incluant les nombreux chauffeurs de taxi, la vieille de l'eurostar, et le surfeur qui fait un gamin à Sophie.
Je m'attendais à avoir une jolie mise en valeur de Londres à la place la majorité de l'action se passe dans le quartier français, un peu à Paris, sans oublier l'eurostar.
Il y a bien la visite de Londres que font Audrey et Mathias, mais je n'en garde pas un souvenir impérissable.
Nos personnages vivent donc à Paris mais sans ces enflures de parisiens.
Une réflexion sur le but et le fond de cette histoire saute aux yeux: ne serait-ce pas un peu autobiographique?
En effet l'auteur vit à Londres et a été architecte d'intérieur comme Antoine.
Donc on peut supposer que Levy a écrit sur ce qu'il voyait, sur son quotidien.
J'espère juste pour lui qu'il est un peu plus sorti du quartier français que dans son bouquin.
Sinon les personnages sont intéressants en ce qu'on peut supposer que l'auteur les considèrent comme réels, caractéristiques de leur âge et de leur classe sociale. Et c'est pas brillant.
Nos deux trentenaires s'étonnent de voir leurs vies stagner alors qu'ils ne font aucun effort pour la redresser. Ils essayent d'élever leurs enfants, qui sont désormais presque toute leur vie. Ils sont tellement paumés que leurs propres enfants les aident et les aiguillent à leur insu.
Est-ce un portrait de notre époque? Sommes nous condamnés à leur ressembler, dans leur stupidité et leur conditionnement, totalement impassibles à la fantaisie anglaise ou à la culture?
Je n'espère pas.
Ou alors c'est simplement un portrait des gens que côtoie l'auteur, je n'espère pas pour lui.
Pour toutes ces réflexions, un point, sur ce qui n'était probablement pas voulu par l'auteur.
En résumé, ce bouquin c'est un peu le roman dont vous êtes le co-auteur. Vous devez imaginer l'aspect physique des personnages, redresser un style à la dérive et leur donner un peu de profondeur.
Ou alors vous pouvez aussi laisser tomber et refermer le bouquin, vous ne manquerez pas grand chose.