Critique publiée sur Kultur & Konfitur.
Que l’on soit un fervent admirateur ou un furieux hater de la saga créée par Hideo Kojima, force est de reconnaître qu’elle est l’une des œuvres les plus singulières et intéressantes de la planète vidéoludique depuis sa première itération en 1987, sobrement intitulée Metal Gear. Explosant en 1999 avec la version Solid, elle a fait l’objet de multiples suites et spin-offs, surprenants à la fois par leurs partis pris et la communication qui entourait le projet, jusqu’à la sortie du diptyque Metal Gear Solid V Ground Zeroes / The Phantom Pain, achevant la collaboration de l’auteur avec Konami sur un ton théâtral en parfaite adéquation avec l’esprit du cycle, fédérant la communauté des joueurs autour de ce que les fans nomment le génie. Hideo Kojima fait aussi partie de ces développeurs qui contribuent à asseoir le média dans le paysage culturel et artistique, affirmant le concept d’auteur (et donc de créateur) et s’inspirant pour cela du cinéma, autre forme dont il est un grand admirateur et n’hésite pas à le rappeler (par exemple lors de la sortie du dernier Mad Max). Cette position porte la critique et les joueurs à porter un œil particulier sur ses productions, essayant d’y déceler une cohérence, une continuité, une vision d’ensemble. Le récit et ses embranchements présentent une ambition démesurée qui n’a que d’égal celle de la mise en scène, elle aussi très inspirée par le septième art. C’est d’ailleurs ce qui a parfois été reproché à Kojima, cet aspect trop verbeux et parfois inadapté au média qu’il choisit, dans un entre-deux délicat, un fil que Metal Gear aurait quelquefois brisé par un équilibre trop instable.
Ce statut bien particulier valait bien qu’on en fasse un livre ! Et bien Third Editions (éditeur spécialisé dans la littérature jeu vidéo) – après avoir abordé Dark Souls, Resident Evil ou plusieurs Final Fantasy – l’a bien compris et s’est penché sur la question en rééditant sous forme augmentée (en 2015, soit l’année de la sortie de The Phantom Pain et du divorce avec Konami) un ouvrage de 2012 édité par Console Syndrome et Pix’n Love. Pour faire un tour du sujet, ce ne sont pas moins de trois auteurs qui se sont attelés à la tâche, à savoir Denis Brusseaux, Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi. Saluons d’emblée le travail accompli et la qualité du produit, un livre bien épais, à la couverture classieuse et sobre, un blanc qui sera du meilleur effet dans une bibliothèque, accompagné du petit rond noir de l’éditeur lui aussi simple et lisible. Au-delà de la qualité du contenu, le contenant a suffi à me faire lever le sourcil et me donner envie de parcourir le reste de la bibliographie de Third Editions, d’autant plus que les analyses des œuvres traitées m’attirent.
Solide snack !
Traiter la saga Metal Gear, c’est donc tout à fait dans la droite lignée de ce qu’a proposé l’éditeur auparavant et pertinent, mais encore fallait-il le faire avec panache, peut-être avec la démesure de l’œuvre, un côté bigger than life que n’ont pas choisis les auteurs. Prévenant d’emblée que l’exhaustivité totale est difficile voire impossible, ils affirment leur subjectivité, caractère indissociable de l’analyse de l’œuvre et spécialement de celle-ci. En 250 pages, le style sera finalement sobre et la précision de mise, sans grandes embardées ni moments de folie qui n’auraient pas été absurdes. Le trio ne nous propose pas de la littérature romanesque, même s’il y a de ça dans l’une des parties, mais une approche plus documentaire et critique, sans jamais être opaque, on se promène dans les lignes sans jamais lâcher la manette… euh l’ouvrage, ni se perdre là où au contraire, la chronologie et les thèmes de Metal Gear peuvent perturber le joueur et le placer dans un labyrinthe mental dont on ne peut se sortir qu’en gardant l’esprit clair et organisé. La table des matières et l’analyse sont certes bien compartimentées, mais le cloisonnement n’est pas absolu et une forme de vision spiralaire s’insinue dans l’ouvrage. Il y a certes un chapitre pour le gameplay et les mécaniques de jeu, un autre pour le scénario, mais cela n’empêche jamais les auteurs d’y revenir ou de pointer une particularité du doigt quand cela est pertinent dans une autre partie. Le résultat est une grande clarté dans la présentation et donc dans la lecture : jamais quelque chose n’est hors de propos ou ne semble placé là « parce qu’il fallait bien le dire ».
Si l’exhaustivité n’est peut-être pas tout à fait là, nous n’en sommes sans doute pas loin. Les trois auteurs traitent, parfois rapidement, certes, de nombreux aspects du cycle à travers un sommaire d’une trnasparence exemplaire. Pour faire bref, il y aura de l’analyse du gameplay et de son évolution, un historique des sorties des différents opus avec leur contexte et leur développement, mais aussi tout ce qui touche au « hors-jeu », à savoir la communication et le marketing, la relation Kojima/Konami. Surtout, il y a la partie centrale (le chapitre quatre, d’une centaine de pages), qui traite de l’univers et de l’histoire qui traverse l’ensemble de la série, soit plus de 100 ans d’intrigue(s). Que l’on soit novice en la matière ou fin connaisseur, chacun devrait y trouver son compte, soit dans la découverte et la compréhension (et dans ce cas, attention aux spoilers), soit dans la réorganisation des bribes laissées par la pratique plus ou moins lointaine des jeux. Les auteurs, par un travail de recherche et d’assemblage que l’on imagine discipliné, sont parvenus à retracer une chronologie qui semble tirer d’un ouvrage de vulgarisation dans ce que cela a de meilleur : la clarté et l’accessibilité. La mise en relation avec l’Histoire « réelle » met en valeur la titanesque entreprise de Kojima, et aide à percevoir que, en dépit de quelques incohérences, le développeur semble être resté dans une certaine vision de sa créature, se remettant parfois en question sans jamais se trahir. Les grands fans de la série n’apprendront peut-être pas grand-chose de plus que ce qu’ils savaient déjà ou sauraient en compulsant les pages Wikipedia, la différence se fait dans l’agencement des parties et la manière de naviguer entre elles, en présentant les répercussions d’un scénario à l’autre et la logique continue de l’intrigue.
Oui, l’analyse a parfois quelque chose d’hagiographique, Hideo Kojima faisant figure de grand manitou aux idées géniales. Il y a pourtant bien quelques nuances bienvenues, mais le contrat est clair : les auteurs ont écrit sur une saga qu’ils aiment, au-delà de la juger intéressante à analyser. Dommage de ne pas s’être un peu attardés sur les personnes ayant œuvré au succès de Metal Gear en-dehors de Kojima, figure phare mais sans doute épaulée par bien des anonymes, cela cadre toutefois avec la volonté de présenter MGS comme l’œuvre cohérente d’un auteur. L’analyse critique manque parfois un peu de profondeur et de subjectivité, celle-ci résidant plutôt dans la forme et l’approche que dans le propos. Se basant souvent sur des faits concrets, on se trouve face à des lieux communs qui semblent un pot-pourri de critiques lues sur Internet, avec des résultats un brin consensuels et manquant d’identité, allant ainsi avec l’aspect un peu austère de l’écriture. Mais cet ouvrage fait partie de ceux à recommander à toute personne désireuse de lire quelque chose d’un peu sérieux sur le média, et encore plus à tout joueur un peu intéressé par la saga Metal Gear. La forme est propre et soignée, le fond est documenté, précis et exemplaire de clarté, le tout dans une écriture qui, encore une fois, ne marquera pas par sa singularité, mais a le mérite d’être accessible et lisible. Un ouvrage qui fait honneur au cycle qu’il décortique, et aux joueurs qui l’ont adoré ou détesté.