Je dois confesser m'être toujours complètement désintéressée de James Brown: le funk c'est chic, mais c'est pas trop mon truc.


En ce qui me concerne, il se résumait à deux images: la première: celle de Mr Dynamite, hurlant I feel good en coupe Pompadour et costume disco épileptoïde, et la seconde: celle d'une épave de mugshot, l’œil hagard, cheveux en bataille et barbe blanche de trois jours, une vedette un peu sur le retour, familière comme ce vieil oncle qui fout toujours un peu la honte aux repas de famille...


Mets le feu et tire-toi n'était donc pas particulièrement fait pour moi.


Mais j'avais lu James McBride et beaucoup, beaucoup aimé l'excellent L'oiseau du bon dieu, (lisez-le) roman inspiré de la vie de John Brown (encore un Brown), abolitionniste américain frappadingue, mi-XIXème, lequel s'attirera de nombreux ennemis mais également des défenseurs de haute voltige tels que Victor Hugo ou Henry David Thoreau ...


Quoiqu'il en soit, si McBride décide que le parrain de la soul mérite un roman, j'en suis et bien m'en a pris!



Say it loud, I'm black and I'm proud



Plus qu'une simple biographie (à peine) romancée, Mets le feu et tire toi, sous titré A la recherche de James Brown et de l'âme de l'Amérique est une plongée dans les profondeurs de l'âme américaine donc, construite sur une opposition de l'homme blanc et des autres, natifs amérindiens et africains américains.


Pour McBride, il est impossible de comprendre un artiste tel que Brown, ou même Michael Jackson, dont il était très proche, si l'on ne comprend pas cette Amérique derrière les masques.


Say it loud, I'm black and I'm proud chante Brown en 1968. Noir et fier... difficile aujourd'hui, et vu de France, d'imaginer l'audace de ces paroles, répétées comme un mantra, en plein mouvement des droits civiques.


James Brown a grandi les pieds nus dans les champs de coton, en Caroline du Sud, élevé par des tantes et cousines avec des valeurs telles que la dignité et le travail, et ce dans un état où un regard de travers pouvait vous laisser agonisant, traîné au sol ligoté l’arrière d'un truck à autocollant Stars and stripes.


Ces valeurs, Brown ne les oubliera jamais: travail, et dignité. Comme il n'oubliera jamais les humiliations subies par sa famille et les noirs africains américains.


Il va se construire sur cette dualité qu'il ne parviendra pas à vaincre: un sens de la dignité et de l'amour propre qui le fera passer des heures sous un casque chauffant après chaque spectacle pour ne pas se présenter décoiffé devant des tiers, et une méfiance constante, une peur même, disons le, des blancs, dont il jugeait que ceux du nord était plus fourbes, et donc dangereux, que les pleutres encagoulés de son sud natal.


Brown, toute sa vie durant, s’attachera à convaincre les africains américains que seuls l'éducation et le travail pouvaient les sauver. A tel point qu'il finança, sans contrepartie, les études de plusieurs jeunes et légua la presque totalité de sa fortune aux enfants pauvres de sa chère ville d'Augusta ( qui n'en verront jamais la couleur, rapport aux héritiers peu enclin à abandonner le pactole).


Généreux, Brown l'était, mais la peur du manque le suivra toute sa vie également, le poussant à cacher de l'argent liquide un peu partout, ce qui a eu tendance à salement mettre en rogne le fisc, qui le ruinera à deux reprises, lui qui ne sortait jamais sans trois chèques de banque de 1 000 $ dans sa poche (et un flingue, mais c'est une autre histoire).


McBride construit son récit sans souci de linéarité, il va et vient dans les années au fil des témoignages qu'il recueille de proches de James Brown, qui livreront leur ressenti.


Tous reconnaîtront les nombreux travers de l'artiste (un homme caractériel, violent avec les femmes, tyrannique avec ses collaborateurs et lunatique...) mais au final ce que l'on retient, c'est qu'il était un homme qui vous tirait vers le haut, ce qui est assez rare pour être souligné.



It's a (white) men's world



Mets le feu et tire-toi est certes romancé, mais plus qu'un roman, c'est une enquête de journaliste, un hommage de musicien (McBride étant lui même un jazzman averti) et même un manifeste politique.


A travers les ascensions et les chutes de James Brown, c'est un état des lieux des rapports raciaux en Amérique que dresse James McBride, très différent des problématiques rencontrées en France notamment.


C'est quelque chose de plus insidieux, de plus ancré aussi. Un sentiment de supériorité plus qu'une crainte. Une tolérance de façade qui ne cache que très mal des conventions sociales racistes encore extrêmement présentes.


Le premier chapitre du roman est un cri de rage, une invocation. Mais c'est avant tout une invitation à tomber les masques pour enfin comprendre qui sont, au delà du folklore, ces artistes noirs portés aux nues pour couvrir la triste réalité.


Plutôt que de trop en dire, laissons le dernier mot à Monsieur Brown:



Arriver comme quelqu'un d'important et repartir comme quelqu'un d'important. On leur met le feu et on se tire, Rev. On leur met le feu et on se tire...


Chatlala
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le 3 oct. 2017

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Chatlala

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