Un meurtre atroce, d’une violence et d’une cruauté inouïes, attribué à des étrangers, des représailles sanglantes menées dans un camp de réfugiés par un groupuscule néonazi : ce roman, dont l’action se passe en Scanie (sud de la Suède) en 1990, colle vraiment à l’actualité et nous tend, avec 25 ans d’avance, un miroir de nos sociétés contemporaines. Même méfiance, même hostilité chez beaucoup envers les demandeurs d’asile qui fuient la misère ou la guerre. Même rejet d’une politique d’accueil jugée trop laxiste, d’un État présenté comme incompétent, totalement dépassé par l’afflux de réfugiés politiques mais aussi de travailleurs clandestins, de malfrats en provenance de pays de l’Est qui, tous les jours, arrivent en masse sur des ferries traversant la Baltique. Mêmes relents de racisme et de xénophobie, même montée de l’extrême droite. Il ne manque à ce sinistre tableau que la menace terroriste pour que la comparaison soit parfaite avec ce que nous vivons aujourd’hui en Europe.
L’atmosphère de ce premier roman mettant en scène l’inspecteur Wallander est des plus déprimantes : la pluie et le vent rythment les froides journées de janvier, la neige est à venir, redoutée on ne sait trop pourquoi, porteuse d’on ne sait trop quelle apocalypse. Henning Mankell pose un regard pessimiste et désabusé sur la société suédoise : désormais, le modèle scandinave empreint de pacifisme, d’accueil et de tolérance a fait long feu. Wallander est aux prises avec un monde qu’il ne comprend plus, dans lequel les meurtres crapuleux à la violence extrême et gratuite ne se limitent plus aux grandes villes comme Stockholm ou Malmö. Pour ce policier dépressif, largué par sa femme, quasiment sans contact avec sa fille, confronté à la mort imminente de son meilleur ami, l’univers s’effiloche, à l’instar de la santé mentale de son père, touché par la sénilité. Il ne reste plus à cet anti-héros si ordinaire et si humain que le travail, harassant et tenace, l’alcool, la musique et la mélancolie.