Il y a bien des angles sous lesquels on peut lire, analyser, critiquer, disséquer, Moi, Tituba sorcière..., que nos commentateurs modernes ne se prieront pas d'aborder ("féministe", "post-colonial", etc.). Je l'ai lu, d'abord, comme un réquisitoire contre l'imbécillité et l'hypocrisie du puritanisme.
Les puritains du XVIIIème siècle (dont il reste encore de beaux résidus outre-Atlantique et en d'autres coins du monde) étaient les Daech de l'époque : sous couvert d'une soi-disant supériorité morale, ils réduisaient en esclavage, exploitaient, tuaient, en promettant aux infidèles de brûler dans quelque arrière-monde de leur invention. Leur délire religieux était tout à la fois une négation du monde, de l'être humain et de la vie.
L'idée, géniale, de Maryse Condé, est d'opposer à ces puritains non pas une sorcière dans le sens occidental du terme, c'est-à-dire une faiseuse de sorts et de messes occultes : ces sorcières-là ne sont que l'envers des puritains, le côté obscur de leurs propres croyances. Au lieu de cela, l'auteure fait vivre une sorcière au sens 'africain' du terme, c'est-à-dire une femme qui soigne, qui conseille, qui vit en même temps à l'écart et au centre de la communauté, mais toujours les deux pieds dans le monde.
Certaines critiques déclarent que le roman flirte avec le fantastique, notamment quand Tituba convoque les esprits et discute avec eux. Il me semble que dans la métaphysique de Maryse Condé, la sorcière est au contraire un personnage du réel, de la vie présente : si elle voit ce qui est caché, c'est qu'elle voit plus haut et plus loin, mais toujours à l'intérieur de la réalité, dont les esprits et les morts font partie. Ce sont les puritains qui vivent en dehors d'elle, aveuglés par leurs visions d'enfers et de paradis, effarés par leur peur de Dieu qu'ils transforment en haine des hommes.
Ah oui, et c'est excellemment bien écrit.