Mon Ántonia
7.2
Mon Ántonia

livre de Willa Cather (1918)

Quand j'ai lu Mon Ántonia pour la première fois (je devais avoir 15 ans), je me souviens de phrases aussi simples et vastes que les plaines des Etats-Unis, et d'un récit d'une profonde mélancolie. Quelques années plus tard, j'ai été impressionnée par l'ironie subtile suscitée par les multiples voix que le roman donne à entendre.


Il ne faut pas lire Mon Ántonia comme une pastorale sentimentale sans tenir compte de l'incipit : Jim Burden a une certaine tendance à recouvrir le passé d'un "voile romantique", et lorsque la parole lui est confiée, c'est sa vision des faits, embellie par la nostalgie de l'enfance perdue, qui nous est contée. Et Jim Burden porte très bien son nom: c'est un boulet. Du reste, sans vouloir vous souffler la fin, c'est certainement l'image qu'ont de lui les enfants d'Antonia, d'après ses souvenirs à elle. Le récit de Jim est marqué par un constant repli sur des repères rassurants, ce qui crée une tension entre une volonté de suggérer une immensité presque angoissante, et le désir d'enclore les souvenirs dans un petit monde idéalisé à l'image du Jardin d'Eden (d'ailleurs, les symboles bibliques sont omniprésents, si bien qu'il est difficile de ne pas y penser). Jim Burden est un homme, il est cultivé et il a fait carrière à la ville. Ceci n'est jamais souligné, mais je pense qu'il faut toujours le garder à l'esprit afin de comprendre la réserve systématique de Jim face aux jeunes femmes immigrées travaillant dans les champs, aux musiciens jouant de la musique populaire, et à l'étendue même des plaines des Etats-Unis. Tout l'art de Willa Cather est de créer une ironie assez ténue à partir du décalage entre les souvenirs de Jim et l'intervention d'autres voix, ou de la disposition même du récit.


On se tromperait tout autant si l'on considérait Mon Ántonia comme un roman un peu lisse et gentillet. Orné par la mémoire, il n'en est pas moins grave, voire morbide à certains égards. Le récit de Jim est hanté par la maladie de la nostalgie et du regret. C'est cette maladie qui cause le suicide de l'un des personnages. C'est aussi ce dont le roman entier semble émaner. Mon Ántonia est en quelque sorte le récit de la Chute hors de l'enfance.


Un très beau livre, en somme, que ces Géorgiques américaines plus complexes et plus sombres qu'elles n'y paraissent au premier abord. Le style de Willa Cather mérite en lui-même qu'on y jette un œil, tant il est fluide, ample et musical ...

Shâhin
8
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le 17 janv. 2014

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